Animaux solitaires

Pour un homme, faire la cour à sa bien aimée se résumait à la soûler au whiskey jusqu'à ce qu'elle cède ou bien qu'elle s'endorme le temps qu'il assouvisse ses ardeurs. Les femmes changeaient de mains comme des pièces de tracteur, et souvent une jolie fille était plus ou moins emmenée de force dans la maison d'un homme si sa famille n'avait pas les moyens de s'opposer à l'enlèvement, ni les armes nécessaires pour l'empêcher.

Rien n'était plus juste que la poussière. Le fait d'y retourner effaçait les différences entre tous les êtres.

Si tu essaies de me rassurer, tu fais un sacré détour pour y arriver.

Il ne priait pas. Si Dieu prêtait l'oreille à chacun de Ses fidèles, notre Seigneur ne serait pas autre chose qu'un laquais ou au mieux un tueur à gages, prenant parti pour un camp contre un autre en échange d'un lot de "Je vous salue Marie" ou de "Notre Père". La vénération, pour Elijah, consistait à découvrir le sacré au coeur du banal.

Pour Jacob, les fables étaient la collision accidentelle ou arbitraire entre les événements et les âmes chanceuses ou malchanceuses que le hasard plaçait sur leur route, mais les hommes, avec leur besoin de trouver du sens à tout, mélangeaient le hasard et les ragots pour en faire des mythes.

Le vieux Belsbe était secoué par une effrayante toux sèche. Cela faisait deux mois qu’il en souffrait alors qu’aucune contagion n’était signalée, à part quelques rhumes. Les hommes qui l’entouraient avaient probablement assisté à son mariage et à coup sûr ils l’accompagneraient jusqu’à sa dernière demeure, mais comme il ne laissait pas de fils qui aurait pu reprendre ses terres, son épouse n’aurait d’autre choix que de vendre aux enchères son matériel agricole et tout le reste. Tassés sur eux-mêmes dans leurs chemises à boutons-pressions au col fermé par une cravate-ficelle, ils évaluaient le temps que Belsbe avait encore à vivre, ainsi que leurs biens et ceux des autres.

Levant le pouce, Strawl indiqua qu'il souhaitait prendre de l'altitude et l'avion grimpa jusqu'à ce que le pays tout entier lui parût recouvert de brume et il imagina que la courbure de la Terre était visible à l'horizon. (...) Le seul bruit perceptible était celui du moteur emporté par le vent et celui-ci avait même simplement cessé d'être un bruit. Strawl comprit que son talent particulier n'avait aucune utilité dans ce ciel. Tendre l'oreille mariait un esprit à l'instant présent, puis au suivant, et le ciel était trop vaste pour qu'une seconde résonne de façon audible et qu'une autre la remplace. Si un dieu avait des oreilles, il n'entendait rien d'autre que le silence. Les prières et les cantiques et les serments et les jurons devenaient aussi répétitifs et indistincts que des gouttes de pluie tombant dans une rivière. Les saumons remontaient les courants sur trois cents kilomètres sans faire plus de bruit que les morts et les conifères atteignaient trente mètres de hauteur sans émettre un son à part celui que le vent arrachait à leurs aiguilles. Le temps lui-même se réduisait à presque rien comparé à l'essence du paysage. Il suffisait d'un millier d'années pour que Babylone ne soit plus qu'un mot.

Je dois dire que je ne comprends pas totalement ton histoire. Ceux qui couchent avec leur mère, ils essayent simplement de retourner dans la matrice (...) Mais avec sa soeur, c'est un peu comme s'enfiler soi-même, non ?

Au bout d'un moment, les paroles ne sont plus que du bruit.

La plupart des gens voient l’espoir comme le contraire de la peur, mais Russell Strawl n’était pas dupe : le contraire de la peur, c’est la certitude. La peur cesse où commence la connaissance, fût-elle de la pire espèce. Strawl ne se rappelait pas avoir jamais eu peur. Le monde avait depuis longtemps perdu la capacité de le surprendre.