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Critique de GeorgesSmiley


Coup de poing, coup de coeur !
Pour le poing :
L'officier de fortune donne la parole à un type de personnage qu'on ne trouve plus guère dans la production littéraire contemporaine : le soldat de carrière. Il a longtemps fait contre mauvaise fortune bon coeur, incarnant ces soldats issus des classes populaires, valeureux et obéissants qui ont traversé le vingtième siècle en faisant front pour finalement constater que leurs efforts, leurs sacrifices, leurs camarades disparus, leurs vies saccagées n'ont pas servi à grand-chose. Ils avaient combattu vaillamment, souvent pris le dessus sur l'adversaire pour, la plupart du temps, devoir se retirer, abandonnés par les politiciens, dans l'indifférence générale.
L'amertume du personnage, on la ressent de la première à la dernière page : « En 1928, à vingt-cinq ans, je débarquais au Maroc. Notre monde alors était immense. Mais voilà. Tout ce en quoi j'ai cru, tout ce pourquoi je me suis battu, n'existe plus. »
Pour le coeur :
L'auteur réussit à raconter un père dont il n'a fait la connaissance qu'à vingt ans, avec lequel il n'a eu que très peu d'échanges et dont il ne connait que ce que sa mère a pu lui en dire. Et pour ce faire, c'est le père qui parle, revivant en phrases courtes, comme l'avare de mots qu'il a toujours été, sa vie, ses échecs, son amour sacrifié et ce fils inconnu à peine croisé.
Est-il encore temps d'être enfin un peu heureux auprès de l'amour de sa vie ? de faire la connaissance du fils caché que le narrateur appelle pudiquement « le garçon » pour bien marquer, me semble-t-il, cette impossibilité qu'il a (qu'ils ont ?) à effacer les années perdues, l'absence et l'ignorance mutuelle. « Demain… j'aurai soixante-dix ans… j'ai pensé à l'âge, à ce qui me restait. Un an ? Cinq ans ? Dix ans ? Pas de quoi faire des projets en tout cas. »
« Il fallait bien que l'on fasse enfin connaissance tous les deux. Et que l'on se parle. Mais pour se dire quoi, grand Dieu ? »
Autant le dire tout de suite, c'est une grande réussite, pleine de sensibilité, de finesse et d'émotion. L'hommage d'un fils à un homme qu'il n'a pas connu mais auquel il redonne la parole et la vie le temps de ce court récit. Avec beaucoup de pudeur et de retenue, Xavier Houssin nous conte une vie aventureuse, une passion amoureuse contrariée, une fidélité au drapeau et à la famille très mal payée en retour et aussi cette distance impossible à réduire avec « le garçon », lui, ce fils qui n'en sera jamais vraiment un du vivant de son père.
A titre posthume, l'auteur rend un bel hommage à son père pour lequel il hisse une dernière fois les couleurs. Je recommande vivement ce très court et très fort roman, qui m'a particulièrement touché, et auquel je n'ai trouvé qu'un seul défaut qu'il me faut à présent préciser.
N'ayant aucun talent littéraire, doté d'un style que mes professeurs de lettres ont souvent qualifié de « lourd », j'ai toujours été à l'abri de la folle idée, traversant tant d'esprits fragiles, de m'imaginer capable de raconter une histoire susceptible d'intéresser le moindre public. Je me dois donc de dénoncer le caractère pernicieux de ce roman extraordinaire dont la puissance, si je n'y prenais garde, serait de nature à me faire changer d'avis, tant j'y ai retrouvé des pensées, des interrogations, des émotions déjà éprouvées pour avoir moi-même connu et perdu un autre officier de (mauvaise) fortune à la trajectoire professionnelle et sentimentale équivalente. Nous nous étions très peu fréquentés pendant mes vingt premières années. Je n'ai réellement fait sa découverte qu'un mois avant sa mort… Mon père.
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