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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Toute époque aspire à un monde plus beau. Plus le présent est sombre et confus, plus ce désir est profond. Au déclin du moyen-âge, la vie s'emplit d'une sombre mélancolie."

Un vieux souvenir de fac... le pire examen de l'année. le meilleur professeur. La sensation odieuse d'une tête complètement vidée de sa substance : le cerveau, cuit par la canicule précoce de cette fin mai, essaie de trouver la réponse à la question toute simple :
"Avez-vous lu "L'automne du Moyen Âge" ?
- Ehm... hm... nonhm...
- Dites-moi de quoi parle ce livre. Ce que vous imaginez qu'il pourrait contenir. Courage, vous allez trouver !
- Si vous le croyez..." (ha, certainement !)
Quand je suis ressortie d'un pas incertain au soleil, dans l'affreuse veste vert pomme, la tête me tournait encore. Pendant presque deux heures, on a discuté d'un livre que je n'ai même pas ouvert. Mais aussi de l'art sacré et profane, de l'architecture "flamboyante" du moyen-âge déclinant, de l'amour courtois et des idéaux chevaleresques qui n'étaient alors plus qu'un reflet sentimental de la gloire passée, de la mentalité des gens capables de pleurer pendant des semaines un roi qu'ils n'ont jamais vu, ou commettre un meurtre quand leur adversaire trichait aux échecs. Des prémices timides de la Renaissance dans une époque languissante pleine de codes et symboles obscurs, passions, larmes, contrastes et extrêmes. Et je voulais vraiment lire ce Huizinga !

Rien que le titre "L'automne du Moyen Âge" prépare déjà le lecteur à un fastueux saltarello allégorique, où les dates, les noms et les événements mènent la danse avec l'art et la culture, et créent un tourbillon de chaos parfaitement organisé.
Avec sa fresque expressive, Huizinga ressuscite les dernières décennies du moyen-âge agonisant. Il l'adore, et il ne le cache pas : son ouvrage est une sorte d'élégie, un soupir mélancolique sur un monde disparu, et ceci dès les premières lignes - "Quand le monde était de cinq siècles plus jeune qu'aujourd'hui, les événements de la vie se détachaient avec des contours plus marqués".
Le livre, inspiré par l'oeuvre de Jacob Burckhardt, est conçu comme une mosaïque impressionniste qui mélange les observations de l'auteur avec de nombreuses descriptions et anecdotes cueillies chez les chroniqueurs d'époque, et des citations fragmentaires : ce qui peut paraître de près comme des taches de couleur disparates révèle avec un peu de recul tous les aspects de la culture médiévale tardive dans un surprenant ensemble. Un tel livre ne peut pas rester froidement objectif, ni suivre aucune thèse centrale clairement définie, malgré sa division en cercles thématiques.
L'auteur se concentre sur la période du bas moyen-âge (15ème siècle), en particulier en France et dans les pays de l'actuel Benelux. Il parle avec passion de la culture de l'époque : ce qu'on comprend traditionnellement comme les événements "historiques" (guerres, politique, économie) est plus ou moins éclipsé en faveur des arts (les célèbres Danses macabres ou la peinture flamande) et de la littérature (poésie lyrique courtoise). Il considère la diversité et l'intensité des contrastes de la vie quotidienne comme les traits principaux de l'époque, et il accentue avec un plaisir non-dissimulé les facettes bizarres, parfois grotesques, de la façon de penser de nos ancêtres. Il ne prétend pas présenter ces faits comme quelque preuve de la "mentalité" médiévale, mais cette mosaïque finement composée la reflète aussi bien que n'importe quel miroir. (Les limites que pouvait atteindre tant l'appétence que le dédain pour la vie terrestre seront ensuite parfaitement décrits par M. Bakhtine dans "L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire".)

"L'automne du Moyen Âge" (1919), considéré désormais comme un classique, n'est donc pas un manuel foncièrement rébarbatif destiné aux étudiants en histoire, mais un ouvrage "littéraire", qui prouve que la distance entre l'hagiographie et la fiction n'est parfois qu'illusoire. Huizinga est un bon narrateur et un excellent styliste, et il est impossible ne pas le recommander... même s'il pourrait s'avérer quelque peu dangereux pour une toute première excursion au moyen-âge. Comme un mystérieux feu follet, il peut conduire le lecteur au milieu de la forêt médiévale, touffue, enchanteresse et pleine de dangers, et le laisser errer sans plus lui indiquer le chemin.
Un livre sur l'art et l'esprit du moyen-âge qui est déjà une oeuvre d'art en soi, quoi vouloir de plus ? 5/5
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