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Critique de YvesParis


Nancy Huston est une grande romancière. "Lignes de faille" compte parmi mes livres favoris. Mais c'est aussi une féministe engagée dont le dernier essai s'inscrit en faux contre les théories constructivistes de l'indifférenciation des sexes.

A rebours de l'idée désormais majoritairement admise que les identités sexuelles sont construites, qu'on ne naît pas femme (ou homme) mais qu'on le devient, Nancy Huston ose réaffirmer le primat de la biologie. Sans doute ne sommes-nous pas des chimpanzés (comme l'a clamé Elisabeth Badinter), mais le sommes nous malgré tout quand même encore un peu. "Le mâle a intérêt à répandre sa semence le plus largement possible dans le plus grand nombre possible de corps de femelles jeunes et bien portantes c'est-à-dire susceptibles de mener une grossesse à terme et de survivre à un accouchement" (p. 22). La femme, elle "n'a pas intérêt à copuler avec le premier venu" et aura "tendance (car intérêt) à choisir ses partenaires avec discernement, préférant un mâle qui lui semble non seulement physiquement fort mais psychiquement fiable, susceptible de rester plusieurs années auprès d'elle et de l'aider à nourrir ses petits" (idem). La preuve - administrée avec cette rigueur scientiste dont seuls les Etats-Unis ont le secret : appelés à indiquer l'odeur qui les attire le plus sur des T-shirts masculins, des jeunes femmes choisissent ceux portés par les hommes dont les anticorps diffèrent le plus des leurs, c'est-à-dire le géniteur potentiel qui fournira à leur descendance la meilleure protection (p. 86).

Nancy Huston dépiste la trace de ces irréductibles différences biologiques dans les regards que s'échangent les hommes et les femmes.
Les hommes regardent les femmes. Bien sûr, rétorquera-t-on, les femmes n'ont pas les yeux dans leurs poches et regardent aussi les hommes ; mais leur regard n'a jamais la même insistance, la même impudeur, la même violence que ceux qui chaque jour déshabillent à leurs corps défendants (!) les jolies filles.
Les femmes sont des "reflets dans un oeil d'homme" (allusion revendiquée au titre du roman de Carson McCullers). Non pas l'objet passif de la concupiscence masculine, mais l'actrice dédoublée de ce regard. Dédoublée car devant son miroir la femme "regardée" devient aussi "regardante". Et si la femme regardée est féminine, la femme regardante est, elle, masculine : elle se porte le regard qu'elle imagine les hommes porter sur elle.
C'est ce qui explique que la coquetterie féminine ait encore de beaux jours devant elle. Et Nancy Huston de souligner le paradoxe d'une société qui nie la différence des sexes mais où les industries de la beauté et de la photographie n'ont jamais autant valorisé, au risque de le réifier, le corps féminin.
On pourrait reprocher à Nancy Huston - et aux déterminismes - sa tendance à la généralisation. Toutes les femmes ne sont pas coquettes, lui fera-t-on remarquer, tandis que l'homme contemporain métrosexuel devient plus soucieux de son apparence et que le corps masculin est lui aussi réifié comme dans les magasins Abercrombie. Mais on s'accordera à reconnaître que la coquetterie est globalement plus féminine : il suffit de se promener ces jours ci dans n'importe quelle station balnéaire pour être frappé du soin que mettent les femmes à se maquiller, à se coiffer et à s'habiller pour sortir tandis que leurs compagnons masculins dépenaillés ne manifestent guère de souci de leur apparence.

En plein débat autour du Mariage pour tous et de la "théorie des genres", l'essai de Nancy Huston se prêtera à des lectures polémiques. Parce que le constructivisme est classé à gauche et le déterminisme à droite, on aura tôt fait de la ranger parmi les penseurs rétrogrades. Ce serait caricaturer une réflexion autrement plus subtile.
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