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Critique de karmax211


Quoi de plus agréable lorsqu'on veut s'immerger dans l'atmosphère d'une pièce de théâtre vivante, intelligente, "engagée" et divertissante que de s'adresser à Henrik Ibsen, dramaturge norvégien du XIXème siècle, lequel réunit toutes les qualités énoncées précédemment... et d'autres encore, dans une pièce en trois actes dans laquelle se côtoient harmonieusement romantisme, réalisme et symbolisme ?
Pour parler de - Une maison de poupée -, il est souhaitable de connaître quelques éléments de la biographie de son auteur.
Ce Norvégien qui n'a pas obtenu ses galons sans avoir à franchir de nombreux obstacles, a connu l'insuccès, le doute, l'échec, le manque d'argent, l'exil, avant que grâce à l'influence constante, stimulante et persuasive de son épouse, son talent encouragé ne fasse de lui un dramaturge de renommée internationale et un des piliers de la "restauration littéraire" norvégienne plongée depuis plusieurs décennies dans un confort stagnant et réfractaire à la remise en question et au consentement à entamer sa révolution copernicienne.
La genèse de cette pièce s'inscrit dans la biographie d'Henrik Ibsen et de Suzannah Ibsen son épouse.
C'est sa femme qui, en effet, lit en 1869 le livre de John Stuart Mill - de l'assujettissement des femmes -, qui vient de paraître, et en parle à son époux avec enthousiasme et persuasion.
Dans cet ouvrage, le philosophe britannique défend la thèse selon laquelle « le principe qui régit les relations sociales entre les deux sexes - la subordination légale d'un sexe à l'autre - est mauvais en soi et constitue l'un des obstacles principaux à l'amélioration du genre humain. » Mill est un défenseur de l'émancipation des femmes et milite pour leur droit au suffrage.
Concomitament, les Ibsen ont une amie, l'écrivaine norvégienne Laura Petersen qui, mariée à un professeur danois victime d'une grave pathologie pulmonaire pour lequel elle emprunte à l'insu de ce dernier une forte somme d'argent afin qu'il puisse être soigné, et rédige une fausse lettre de change. Lorsque son mari l'apprend, il fait enfermer sa femme pour instabilité psychique.
Voici deux des éléments à l'origine de la pièce.
Ibsen faisant le constat qu' « une femme ne peut pas être elle-même dans la société contemporaine, c'est une société d'hommes avec des lois écrites par les hommes, dont les conseillers et les juges évaluent le comportement féminin à partir d'un point de vue masculin », il écrit - La maison de poupée -

La pièce se déroule donc en trois actes et a pour cadre et décor l'appartement des Helmer.
Dans ce salon va se jouer un drame qui va impliquer Helmer, avocat récemment promu directeur de sa banque, époux de Nora, très belle jeune femme, mère de trois jeunes enfants, le docteur Rank, ami d'enfance d'Helmer, et secrètement amoureux de la femme de son ami, Madame Linde, veuve et amie de Nora, Krogstad, un avoué véreux, usurier et ma^tre chanteur à ses heures, la bonne des Helmer ainsi qu'Anne-Marie, nourrice des enfants.
Nous sommes à la veille de Noël.
Nora rentre à la maison. Cette année, elle a pu faire de plus nombreux et plus jolis cadeaux à sa famille ; la promotion de son mari a donné une aisance au couple... qui en avait besoin.
Helmer surveille cependant le rapport de sa femme à l'argent, sa femme ( son alouette, son étourneau, son écureuil ) qu'il juge dispendieuse.
Pendant que Helmer planche, en tant que nouveau directeur de la banque, sur la "restructuration" ( terminologie au goût du jour ) du personnel, Nora reçoit la visite inattendue de Madame Linde, une vieille amie qu'elle n'a pas revue depuis dix ans.
Les deux femmes se confient sur ce "gap" temporel durant lequel...
Nora a dû, pour faire face à la maladie de son mari atteint d'une grave infection des bronches, emprunter, sans l'assentiment de ce dernier, une forte somme d'argent assortie de lourds intérêts, et ce faisant commettre un faux en écriture pour satisfaire à l'exigence d'une "caution" ( autre terminologie contemporaine ) pour pouvoir valider le prêt. Elle est confiante... elle est en passe de pouvoir rembourser très vite l'emprunt en question...
Madame Hilde s'inquiète de la situation "délicate" dans laquelle son amie s'est mise...
Elle, est veuve depuis peu et est venue en ville à la recherche d'un toit et d'un emploi.
Elle demande à Nora d'intercéder pour elle auprès d'Helmer.
Celui-ci accepte, engage Madame Hilde au détriment de Krogstad qui se voit licencié.
Fou de rage, celui qui est l'usurier de Nora vient la faire chanter. Il exige le remboursement du reste de l'emprunt avant terme et menace de révéler le faux en écriture passible de justice.
Nora ne sachant que faire demande l'aide de Madame Hilde dont naguère Krogstad fut follement amoureux.
Hélas, l'usurier persiste dans ses menaces.
Elle voit une dernière bouée de secours en la personne du docteur Rank... avant qu'elle ne puisse lui expliquer de quoi il retourne, Rank lui confesse l'aimer en secret depuis toujours.
Face à cet aveu Nora renonce à faire appel à lui.
La situation lui échappe, elle semble être perdue.
Le couple est invité à une soirée dansante chez les voisins du dessus, des notables influents.
Nora costumée doit y danser la tarentelle.
Dernière soirée de fête avant...
À vous la suite...

La pièce qui maîtrise tous les ressorts d'unité de lieu, de temps, ceux plus subtils à faire coexister que sont le romantisme, le réalisme et le symbolisme est un modèle parfait d'oeuvre théâtrale huilée, réglée comme un coucou suisse.
Les situations s'intriquent parfaitement les unes dans les autres, les dialogues ne souffrent d'aucune maladresse, incohérence, invraissemblance, exagération, théâtralisation, dramatisation.... Ils sont parfaitement adaptés tant du point de vue de la respiration de la pièce, de son souffle, de son rythme, de sa tonalité et du circonstanciel. La pièce d'Ibsen est un pur tableau vivant réalisé par un Maître.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si elle est inscrite au registre international Mémoire de l'UNESCO.
Ces quelques passages pour illustrer le propos d'Ibsen sur la condition féminine.
- HELMER. Nora, Nora, on voit bien que tu es une femme ! Mais soyons sérieux, Nora ; tu sais ce que je pense de ces choses. Pas de dettes ! Jamais d'emprunts !
- Nora. Bon, bon, comme tu veux, Torvald.
- HELMER. Allons, allons, il ne faut pas pour cela que la petite alouette laisse pendre ses ailes. Comment T L'écureuil est en train de bouder ? ( Il sort son porte-monnaie ) Nora, qu'est-ce que j'ai là-dedans à ton avis ?
- NORA. ( Elle se retourne brusquement ). de l'argent !
Dans ce court extrait Ibsen croque bien la relation de dominant-dominée entre Helmer dans "l'essentialisation" qui mène à la domination, à la dépendance et à l'infantilisation de Nora réduite à son genre et aux injonctions sociales et sociétales qu'elles induisent. Et Nora qui, apparemment, respecte les codes imposés.

Autre cliché réducteur auquel est associé la femme.
- HELMER. Oh ! si tu savais, j'ai eu suffisamment l'occasion de m'en rendre compte comme avocat. Presque tous ceux qui ont mené de bonne heure une existence dépravée ont eu une mère qui mentait.
- NORA. Pourquoi justement... les mères ?
- HELMER.Cela vient la plupart du temps des mères...

Réquisitoire sans concessions de Nora contre le patriarcat, Nora en voie d'émancipation.
- NORA. C'est pourtant vrai, Torvald. Lorsque j'habitais avec papa, il m'exposait toutes ses idées, et j'avais les mêmes idées que lui. Et si j'en avais d'autres, je les gardais pour moi, parce qu'il n'aurait pas aimé cela. Il m'appelait sa petite poupée, et il jouait avec moi comme je jouais avec mes poupées. Et puis je suis entrée dans ta maison...
- HELMER. En voilà une expression pour parler de notre mariage !
- NORA. ( Imperturbable ). Je veux dire que j'ai quitté les mains de papa pour passer dans les tiennes... Toi et papa, vous portez une lourde responsabilité à mon égard. C'est votre faute s'il n'est rien sorti de moi.
- HELMER. Comment, tu n'as pas été heureuse ?
- NORA. Non, j'ai été gaie. Et tu as toujours été très gentil avec moi. Mais notre foyer n'a pas été autre chose qu'une salle de jeux. Ici, chez toi, j'ai été femme-poupée, comme j'étais la petite poupée de papa, quand j'habitais chez lui. Et les enfants, à leur tour, ont été des poupées pour moi. Je trouvais dela amusant quand tu me prenais pour jouer avec moi, de même qu'ils trouvaient cela amusant quand je les prenais et que je jouais avec eux. Voilà ce qu'a été notre mariage, Torvald.

J'ai parlé de syncrétisme de genres harmonieux entre le romantisme, le réalisme et le symbolisme.
Trois exemples que vous retrouverez en (re)-lisant la pièce.
L'amour secret qui consume le pauvre docteur Rank... et l'utilisation comme procédé littéraire d'Ibsen du feu, de la flamme, de la fumée de l'allumette et du cigare (scène entre Nora et Rank ).
L'apothéose étant la fameuse "tarentelle" que doit danser et danse Nora, tarentelle dont elle espère que surgira "le prodige" espéré...
Lorsque Nora a fait appel à l'argent de Krostad, c'était pour emmener Helmer se soigner en Italie où, grâce à l'emprunt contracté par sa femme, le malade a pu séjourner un an au bord de la Méditerranée et guérir.
C'est là qu'ils ont fait connaissance de la tarentelle...
"La tarentelle est une danse italienne dont le nom est en rapport avec la tarentule, une araignée de la région de Tarente, dont la morsure peut entraîner la folie, quand elle ne provoque pas la mort. Une croyance populaire voulait qu'on ait quelque chance d'en guérir si l'on se livrait à une danse effrénée."
Ibsen qui a vécu longtemps en Italie a utilisé cette légende comme procédé théâtral d'une grande efficacité dramatique et symbolique dans sa pièce... dont je réalise que j'ai tant dit à son propos que je ne suis plus vraiment sûr de rendre une copie autre que brouillonne.
Tant pis !
Le troisième exemple était d'ordre lexical. Helmer appelle Nora "son étourneau"... dont la symbolique liée à l'écervelée, celle qui est sans cervelle, sans jugement, n'aura échappé à personne...
- Une maison de poupée - appartient à ces oeuvres qu'on qualifie d'incontournables... à raison !
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