Citations sur Les fantômes de Reykjavik (23)
Konrad continua à surfer sur le Net. En ce moment, les pages Internet regorgeaient de tribunes rédigées par des femmes qui avaient été victimes de harcèlement, d'abus sexuels ou de viols, parfois pendant leur enfance. Chaque jour, de nouveaux récits étaient publiés. Certaines victimes n'hésitaient pas à écrire sous leur nom et à fournir des témoignages aussi bruts que circonstanciés, décrivant toutes sortes de violences sexuelles et la souffrance qu'elles engendraient. Il arrivait que les victimes dévoilent le nom des auteurs des faits pour faire changer la honte de camp, disaient-elles. Konrad était surtout surpris du nombre impressionnant de femmes qui avaient été confrontées à des expériences terribles dans leurs relations avec les hommes. Il avait évidemment été témoin de ce genre de violences pendant sa carrière de policier, mais n'imaginait pas que le phénomène puisse avoir un telle ampleur.
Malfridur n'avait aucun doute sur l'existence d'un au-delà et parlait régulièrement du monde de l'éther, cette dimension parallèle où les âmes se retrouvaient après avoir quitté les corps. Une foule de gens en quête de réponses sur la vie après la mort s'étaient adressés à son époux.
Malfridur avait été témoin d'un grand nombre d'événements que seuls reconnaissaient ceux qui croyaient aux phénomènes surnaturels.
Un matelas crasseux était accolé au mur, le sol jonché de restes de
nourriture et de saletés. Au milieu de ces détritus, une jeune fille d’une
vingtaine d’années en jeans et T-shirt avait une seringue fichée dans le
creux du bras.
Konrad s’agenouilla auprès d’elle et chercha son pouls. Elle
était morte, sans doute depuis un certain temps. Allongée sur le côté, les
yeux fermés, elle avait l’air apaisé. On aurait dit qu’elle dormait.
Il laissa échapper quelques jurons en se relevant et sortit la photo de sa
poche pour s’assurer qu’il s’agissait bien de la gamine pour laquelle le
couple se faisait du souci.
Ils prirent congé l'un de l'autre. Konrad mangea un morceau, se servit un verre de rouge et mit de vieilles chansons de variétés islandaises sur la platine. Il écoutait encore des vinyles, comme s'il n'avait jamais entendu parler de révolutions technologiques qui avaient transformé l'édition musicale. Il connaissait chaque rayure de ces disques, il aimait le petit chuintement doux qu'on entendait au début du premier morceau et qui était comme un prélude à la musique.
Il mit à cuire la bouillie de flocons d'avoine en veillant à ce qu'elle soit assez épaisse puis sortit le morceau de boudin au foie et à la graisse de mouton qui lui restait et en coupa quelques tranches en attendant que l'avoine arrive à ébullition. Il se mit à table, coupa en dés les tranches de boudins, les ajouta dans la casseroles, y versa un peu de lait et mélangea le tout.
— Pour moi, vous n’êtes qu’un imbécile, Eymundur, répondit Konrad en secouant la tête. Et c’est ce que vous serez toujours. Un pauvre imbécile. […]
— C’est ce que m’a toujours répété mon père. Du plus loin que je me souvienne…
(Métailié, p.160)
Il n'avait pas peur d'être seul avec cet homme, son expérience lui ayant enseigné que ceux qui s'en prennent aux femmes sont généralement des lâches minables.
La lune flottait en surplomb, comme un conte de fées issu d'un monde lointain. C'est en baissant les yeux qu'il vit la poupée dans l'eau.
Cette vision éminemment poétique toucha la sensibilité du jeune écrivain. Il sortit de sa poche son petit calepin et le stylo-plume qu'il avait toujours sur lui et griffonna quelques mots sur la perte de l'innocence, la fragilité de l'enfance et l'eau, à la fois source de vie et force destructrice.
Elles connaissaient des histoires que personne n'aurait dû connaître et qui n'auraient pas dû exister, mais qui arrivaient presque tous les jours. Des histoires de viols et de comportements indignes, des histoires d'enfants, de petites filles, de petits garçons, des histoires de femmes piégées dans des relations violentes, des histoires d'hommes qui les harcelaient, les menaçaient, elles et leurs enfants.
Crois-tu que les anges égarés dans les villes immenses déambulent, solitaires, par les rues et les places....
Bubbi Morthems