AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de sandrine57


De son père, William Abbott n'a gardé que très peu de souvenirs. Pourtant, très jeune, il s'interroge sur ce qu'a pu lui transmettre celui que sa mère a surpris ''embrassant une autre personne''. Ce n'est certainement pas de cet homme sorti très vite de sa vie et qualifié par sa grand-mère et sa tante Muriel de coureur de jupons qu'il tient ses ''béguins contre nature'', celui par exemple pour Richard Abbott, jeune professeur à la First River academy, talentueux metteur en scène de la troupe de théâtre de l'école. de son grand-père Harry alors ? Lui qui a fait les beaux jours du théâtre municipal en y interprétant merveilleusement les plus beaux rôles de femmes, à la tête d'une scierie à la ville, dans ses corsets de taffetas à la scène. Mais son penchant coupable pour Richard disparait quand celui-ci épouse sa mère et lui donne son nom, mettant définitivement hors-jeu le coureur de jupons. Installée dans un logement de fonction au sein de l'école, la nouvelle famille se lie avec les Hadley. Elaine devient sa meilleure amie, tandis qu'il fantasme sur sa mère. Ses béguins se font divers et variés, les plus remarquables étant Miss Frost, la bibliothécaire, femme mûre aux seins d'adolescente et Jacques Kittredge, le capitaine macho de l'équipe de lutte dont Elaine s'éprend également. Malgré un contexte hostile, William grandit et se construit dans la bisexualité, passant d'hommes en femmes, certaines même transgenres. Des années 50 aux années 2000, il déroule sa vie, du Vermont à Vienne, de New-York à Madrid, se refusant à choisir entre ses préférences sexuelles.



Comme à son habitude, John Irving a mis un peu, beaucoup, de lui dans son dernier roman. On y retrouve ses thèmes de prédilection, puisé dans sa propre biographie. William Abbott est donc un écrivain en devenir, élevé sans son père, éduqué dans une école de garçons où la lutte est le sport en vue et qui séjournera à Vienne pendant ses études. Mais bien sûr le jeune Billy n'est pas John Irving dont il diffère par sa sexualité problématique à ses débuts puis de plus en plus assumée. Ces ''béguins contre nature'', ces ''erreurs d'aiguillage amoureux'' sont le prétexte à une critique de l'Amérique bien-pensante où l'homosexualité est une déviance, une maladie mentale que l'on doit soigner. En Europe, son héros se libère de ses entraves morales mais son cas est toujours difficile à gérer; le bisexuel est mal vu par les hétéros comme par les homos. Mais au-delà des problèmes, A moi seul bien des personnages est surtout un hymne à la liberté et à la tolérance. Sans parti pris, ni jugement, Irving raconte une communauté qui a beaucoup souffert. Ses pages sur les années sida, fortes et pudiques, sont à la hauteur du Philadelphia de Jonathan Demme. Son Billy Abbott nous promène dans un monde et des pratiques parfois inconnus, mais sans militantisme ou revendications. Homosexuels, actifs et passifs, bisexuels, mais aussi transgenres prennent une réalité que certains voudraient ignorer dans le meilleur des cas, éradiquer dans le pire.
Un roman où il est difficile d'entrer à moins d'être féru du théâtre de Shakespeare ou d'Ibsen, puis, petit à petit, la magie d'Irving opère. Billy Abbott devient un intime, un ami et l'on s'immerge dans la petite communauté de First Sister, Vermont, et tous ses habitants deviennent des familiers que l'on peine à quitter. Encore une fois, John Irving signe un livre essentiel pour faire réfléchir, rire et s'émouvoir. Une réussite de plus pour celui qui depuis toujours prône la liberté de pensée, le droit à la différence, la tolérance. A lire !
Commenter  J’apprécie          472



Ont apprécié cette critique (42)voir plus




{* *}