Citations sur Les vainqueurs (11)
Ça, c'est typique de la mentalité norvégienne, de la mentalité de perdant, papa. En Norvège, on t'apprécie parce que tu es le dernier qui a réussi un vieux truc. Partout ailleurs, on t'apprécie parce que tu es le premier qui réussit un truc nouveau.
Les années d'enfance sont ainsi une sorte d'errance entre le crime et l'obéissance, entre la volonté d'obtenir un statut en étant bon à l'école et un bon fauteur de troubles, puis ça change au lycée, où il est possible d'être à la fois un fouteur de merde et bon en maths, même si cette combinaisons n'est qu'une carrière temporaire car la plupart optent pour la voie légale, et l'énervé en eux s'efface peu à peu pour mourir complètement, et ne ressortir que dans des situations tendues avec l'épouse et les enfants.
Comme si ça servait à quelque chose d'avoir des envies en tête; les désirs et la nostalgie ne sont que poison et égarement pour un homme qui doit tenir d'aplomb sa maisonnée misérable et surpeuplée, à la force de ses bras et avec l'aide d'un Seigneur aux caprices insaisissables.
La pauvreté, c'est comme une gomme. Elle n'efface pas seulement la fierté et l'estime d'un homme, elle lui fait courber le dos, elle lui vole son pain quotidien et lui ronge ses nerfs noirs.
Parce que les gamins, ils veulent rester où ils ont toujours vécu, et élever un enfant, ce n'est pas comme édifier une maison, les enfants, ils grandissent d'eux-mêmes, et ils grandissent vite dans leur tête, impossible de les redresser avec la règle et l'équerre quand ils vont de travers, impossible de combler les manques ou de couper ce qui dépasse, ils sont là, et ce sont des personnes dès le premier cri, ils ne comprennent pas la langue, ils sont bêtes et nus, étrangers et affamés, débordants de hurlements.
Je suis plus lent que jamais, je ne sais pas ce que je veux, je ne sais pas si je peux continuer à faire seulement ce que je veux, mais comment découvres-tu ce que tu dois faire ? Peut-être qu'il faut demander à papa ? Demander à Harald ? Demander à maman ?
"Moi je trouve que tu devrais faire comme tu veux Rogern." Ca c'est maman.
Papa : "T'as qu'à essayer un peu maintenant, trouillard, ça durera un an ou deux. Et là, tu feras ce que tu veux après."
Bref, là coince, et en plus, j'ai le sentiment que je ne peux pas continuer à les écouter, même si leurs conseils pouvaient marcher. Ecoute-toi Rogern, l'homme sans voix, vingt ans et sans enthousiasme, "un homme qui cherche" comme on dit, une victime reconnaissante de l'offre intellectuelle abondante, allant du socialisme armé d'un coté à un doux pacifisme homéopathique de l'autre.
Evidemment, personne ne fait une pause d'un an pour son "développement personnel". Le "développement personnel", c'est un truc que l'obtient par la lutte, et ça ne s'appelle pas "développement personnel", ça s'appelle grandir et devenir adulte, et c'est synonyme de boulot, factures, une famille dont il faut s'occuper et autres valeurs de base.
... peut-être parce qu'il a été le premier à comprendre que le plus important n'est pas qu'une histoire soit vraie, mais de laisser aux gens la possibilité d'en remplir les blancs.
... une personne qui, pour une raison ou une autre, n'avait pas pu continuer là où elle était née, comme maman, qui était montée en ville pour recommencer à zéro, comme si elle s'extrayait de là en se tirant elle-même par les cheveux, pour se sortir de la guerre et de la misère, pour s'arracher de l'emprise brutale de l'Histoire sur ceux qui créent les valeurs, pour s'améliorer, pour offrir à ses enfants des possibilités supplémentaires, un paradoxe, évidemment, car ce n'est pas facile quand les rejetons commencent le lycée - car c'est là où ils vont - et que, soudain, ils en savent plus que les parents et se mettent à mettre en doute leurs valeurs, ces mêmes valeurs qui leur ont permis d'aller au lycée, et ça cause une sacrée pagaille pour les deux parties ...
Si la guerre appartenait aux puissants possédant la langue et l'argent, tout comme leur appartenait la paix passée, la paix nouvelle semble leur appartenir aussi, avec une évidence brutale. Dès l'été, ils détruisent le bonheur en rasant la tête de Dagny, car ce n'est pas seulement son manteau qui a été en contact avec les Allemands