La vie sans alcool ou adjuvant de ce genre est ingrate, trop lisse, trop plate pour qu’on l’embrasse – on n’a que quelques années à sentir son cœur battre, quelques années pour profiter de tout, et le premier mot d’ordre serait la sobriété ? La retenue ? Restons lucides et modérés ? C’est idiot.
Dans le métro (...) en face de moi, un père bobo, vêtements fades et mous mais chers et demi-barbe claire, parlait à son fils de six mois, dans le porte-bébé sur son torse, comme à un homme dont il voudrait se faire, un ami. Il parlait fort, trop fort (le marmot congestionné était à quinze centimètres de lui – et ne comprenait pas un traître mot du charabia que la grosse tête aux yeux doux lui débitait dans les oreilles), pour que tout le monde dans le wagon puisse se rendre compte qu’il avait une relation privilégiée avec son enfant.
La rareté capillaire a cet avantage qu’elle permet de ne jamais avoir l’air hirsute d’un ivrogne qui se réveille : le dégarni (...) a la même coiffure après une nuit dans une poubelle qu’en sortant de sa salle de bains – ce qui est triste quand on sort de sa salle de bains, mais bienvenu quand on sort d’une poubelle.
Depuis l’apparition de l’homme sur terre, qu’a-t-on inventé de plus utile que l’alcool ?
La vie est mal faite. On ne reste pas longtemps sur terre, objectivement, et pendant cette courte période, cet échantillon de temps, sans voir tout en noir (...), on accumule surtout des emmerdes. Si on y pense calmement, à l’écart, (...), c’est comme si l’on n’avait qu’une seule fois dans son existence l’occasion d’aller aux Seychelles, par exemple, c’est le grand départ, et sur place il pleut pendant toute la semaine, de gros orages et des éclairs, l’hôtel est en travaux et la chambre sent le renfermé, le petit se casse le poignet dès le deuxième jour, une spécialité locale nous vaut soixante-douze heures sur les toilettes, on perd tous ses papiers et c’est déjà l’heure du retour. On l’aurait mauvaise. Bien sûr, on a vu la mer, le sable blanc, les palmiers mouillés, c’était beau, et on a pu se baigner deux heures le jeudi, mais quand même.
Ce n’est pas une raison pour se dégommer aux barbituriques, malgré tout.
« J’aurais évidemment pu, depuis dix ans, moins boire, moins fumer, courir le long du canal Saint-Martin et préférer les courgettes à la tartiflette, mais d’une part ce n’est pas mon genre, de l’autre, cela n’aurait fait que retarder un peu l’échéance, de quelques années, la déchéance. (Sans grand avantage : un type de cinquante balais qui s’installe en terrasse au mois de mai, avec son ballon de blanc, et regarde passer les filles en se frottant les mains, ça manque de grâce.) »
Je me suis demandé dix secondes si je devais me déshabiller avant son retour, mais quand je me suis imaginé nu sur les aventures de Donald au moment où elle reviendrait dans le taudis, j'ai pensé au poisson qu'on vide avant de le proposer à la cliente sur une page de journal et j'ai préféré rester tel quel.
La femme assise, surtout lorsqu'elle a des chaussures à talons, a donc les genoux plus hauts que le bassin, ce qui prend toute son émouvante valeur quand elle est en jupe. Je vois sa culotte, blanche. Ça laisse peu de place dans le cerveau pour lancer efficacement le processus de recherche de choses à dire. Le pape lui-même aurait beau se mettre des claques, il lui serait presque impossible de penser à autre chose. Et je ne suis pas le pape, loin s'en faut.
Lors de l'assaut amoureux, le sang de navet, le moral d'épagneul, c'est insurmontable et rédhibitoire.
J'avais cru réagir, me propulser énergiquement hors de mes rails pour trouver mieux, alors que ce n'était en réalité qu'une brève mise hors du monde, de mon monde, qu'une fuite stérile et vaine, dont le seul but du moins était d'atteindre un précipice.