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Critique de hoteldelaplage


Parmi la profusion de romans que Henry James a écrits, les chefs d'oeuvre les plus connus (Portrait de femme, Les ambassadeurs...), par leur prestige colossal, font beaucoup d'ombre à leurs petits frères. Si Les dépouilles de Poynton fait assurément partie de ces derniers, il n'empêche que c'est un texte attachant dans lequel se retrouvent réduits à une expression plus concise et peut-être plus accessible les thèmes chers au grand auteur américain.

L'intrigue peut sembler datée ou loin des considérations d'un lecteur contemporain : Mrs Gereth, veuve anglaise issue de la gentry, voue une passion sans bornes à sa collection d'objets d'art, collection patiemment constituée qu'elle conserve dans sa magnifique propriété de Poynton. Lorsque son unique fils Owen, rejeton sans grande substance, se fait mettre la corde au cou par la philistine Mona Brigstock, la mère du jeune homme, prête à tout pour ne pas voir l'oeuvre de sa vie passer entre des mains incultes lorsque l'union sera célébrée, soumet de force à ses projets fous sa protégée, Fleda Vetch, une jeune femme sans fortune mais douée d'un sens inné de tout ce qui est beau. de déménagements clandestins en stratagèmes machiavéliques pour faire capoter le mariage de son propre fils, Mrs Gereth ne recule devant rien pour conserver pour elle sa collection chérie, et entraîne dans les dilemmes les plus terribles sa jeune amie qui, entre temps, n'a pas manqué de tomber elle-même amoureuse d'Owen.

Totems d'un bon goût exclusif pour Mrs Gereth, objets précieux dont la valeur marchande et patrimoniale saute aux yeux de Mona, les « dépouilles » qui trônent à Poynton finissent par devenir, au fil du roman, les prétextes à toutes les manigances pour que se joue en leur nom un bras-de-fer terrible entre les deux femmes, dont Owen se résout par nature à n'être que le spectateur, tandis que Fleda en devient malgré elle le dommage collatéral tragique.

La figure de la jeune femme désargentée occupe toujours une place centrale chez James. Dans Les dépouilles de Poynton, l'auteur a eu l'idée ingénieuse d'en faire à la fois l'instrument par lequel les coups sont portés et le bouclier qui les reçoit. En effet, contrainte par sa position sociale fragile à une obéissance silencieuse à sa bienfaitrice, Fleda se plie à toutes les idées fixes de la formidable Mrs Gereth, figure marquante et imposante d'un livre bref dont elle est le dragon. Cette maîtresse mère inaugure, cent ans avant la Patsy Stone d'Absolutely Fabulous ou la Karen Walker de Will & Grace, le personnage de la peau-de-vache plus-que-parfaite, odieuse, égoïste, totalement déraisonnable et indéboulonnable dans ses lubies, qui donne à Henry James l'occasion de montrer un talent qu'on lui connaît moins : un humour extrêmement caustique, qui confère à ce petit roman une tonalité comique savoureuse. En quelques dizaines de page, c'est tout un théâtre qui défile sous nos yeux et ne se départit jamais ni de légèreté, ni de profondeur : l'âme humaine y est sondée avec une acuité sans pareille, et l'on referme Les dépouilles de Poynton avec le sourire aux lèvres et la sensation d'avoir aperçu, à travers le microcosme de ces quelques personnages, bien plus que cela.
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