AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de CorinneCo


Dans les eaux sombres d'un canal, les murs d'un palais vénitien se mirent. Palais vétuste, majestueux de décrépitude qui pourrait soudainement sombrer dans les eaux de la lagune. A moins que ce ne soit une chimère, un mirage flottant dans l'air italien, dans cette brume colorée qui enveloppe les maisons, les églises et les palais au lever et coucher du soleil. le palais des demoiselles Bordereau est à l'image de ses occupantes, vieilli, silencieux, sombre, mystérieux et on pourrait pousser la réflexion jusqu'à dire que, comme elles, il est hanté. Hanté par le fantôme de Jeffrey Aspern, poète illustre, assis sur le trône de la renommée, la lyre d'Orphée à ses pieds.
Le narrateur de cette nouvelle délicieusement trouble et vénéneuse est un jeune critique littéraire, écrivain à ses heures qui avec son associé, décide de mettre la main sur les manuscrits inédits de Jeffrey Aspern. On comprend qu'au-delà de la véritable dévotion qu'il porte au poète disparu, il veut ce que l'on appellerait aujourd'hui faire « un coup médiatique » permettant de lancer sa carrière de façon éclatante et définitive. Publier des originaux de Jeffrey Aspern. Sa quête que l'on imagine longue et infructueuse lui permet de découvrir que Juliana Bordereau, ancienne maîtresse de Jeffrey Aspern détient des lettres, des poèmes peut-être. Et voici donc, le conteur de cette histoire au pied du palazzo comme devant une forteresse. Mme Prest, son amie qui l'accompagne aux portes du palais doute de son entreprise. Les demoiselles Bordereau, comme les papiers de Jeffrey Aspern, sont réputés inaccessibles. Juliana Bordereau vit avec sa nièce Tina dans ce palais aux pièces vides attenantes à un jardin en friche. Fort de ses convictions et de sa manipulation, le narrateur devient leur locataire – les dames sont pauvres et le palazzo est si grand – et entreprend de se rapprocher de Tina – vieille fille fragile, innocente, confinée par sa tante dans un espace temps insoluble – qui voit l'arrivée de ce jeune homme avec crainte, perplexité et espoir.
Mais ces fameux manuscrits existent-ils vraiment ? Comment les approcher ? Comment les voir et les obtenir ? Comment vaincre les soupçons et l'acrimonie de Juliana Bordereau, très vieille femme énigmatique à l'esprit alerte ?
Henry James nous parle d'écriture, d'inspiration, de secret, de la mort et la vie parcourant les oeuvres , instants fictifs ou vécus, sujets à polémiques, controverses, interprétations, dissections, mais qui demeurent une énigme. Comme dans « Le motif dans le tapis » l'écriture est inaccessible et convoitée ; presque un fantasme et un échec.
L'écriture d'Henry James ; sa finesse assombrie, l'éclat des dialogues, le paradoxe de l'univers mental des personnages, à la fois brut et ciselé ; la fenêtre ouverte sur le secret et le questionnement.
Tout en ombre et en lumière, l'écriture d'Henry James envoûte, berce notre imaginaire mais ne nous livre pas la réponse à son écho.
Venise est-elle juste le décor d'une histoire ou un arcane de plus ? Ces femmes, les Bordereau, qui sont-elle en réalité ? de quoi vivent-elles ? Que font-elles ? Gardiennes d'un trésor ? Aliénées tombées dans la démence du souvenir ?
Henry James donne une telle vie à ces manuscrits qu'ils deviennent des objets animés, des vampires assoiffés de reconnaissance . Dans ce jardin que le narrateur a transformé en objet de conquête on s'attendrait presque à voir apparaître Jeffrey Aspern. N'est-ce pas lui qui tire les ficelles de cette intrigue ? Marionnettiste d'outre-tombe ou Charon attendant sa cargaison sur sa barque de gloire.
Commenter  J’apprécie          300



Ont apprécié cette critique (27)voir plus




{* *}