La tristesse automnale de Pierrot était lourde et dure comme les marrons acajou qu'il ramassait sur le chemin de l'école; elle crissait dans sa tête comme les feuilles mortes emportées par le vent du nord; elle grattait comme le pardessus que sa mère l'obligeait à porter dès les premiers frimas
l'annuaire n'était qu'un répertoire de diplômes, titres, qualités, grade de fin de carrière et décorations, un véritable catalogue de titres de gloire franchouillards cherchant à démontrer que le lycée avait bel et bien été le vivier d'une élite.
le corps enseignant de ce foutu lycée n'était qu'un club de noeudpapillonés vernis au tampon de leur suffisance, une compagnie d'emmanchés, empalés jusqu'à l'os sur la canne blanche de leurs médiocres certitudes.
- Je ne peux pas croire que monsieur Korfa ait autant changé à votre égard, dit Guégan.
- Changé ? Changé ? Ah ce n'est plus le monsieur Korfa que vous avez connu, mon pauvre monsieur Guégan ! Monsieur Korfa passe ses journées en robe de chambre, il ne se rase plus, ne se lave plus, ne parle plus à personne excepté la bonne. Il est sale. Il pue. C'est dans la vieillesse que les gens révèlent leur vraie nature, monsieur Guégan.
- J'espère que vous n'aurez pas froid, monsieur Guégan. On gèle, dans cette maison.....Monsieur Korfa, à la suite de savants calculs, a décrété que sous notre climat maritime et tempéré le chauffage central n'était pas nécessaire.
Korfa fronça les sourcils.
- Autant que vous le sachiez tout de suite, Guégan, la devise de mon épouse c'est toujours malade, jamais mourir.....Allons, Poupinette, ne donnons pas à Guégan le spectacle affligeant d'un vieux couple acariâtre.
- L'acariâtre, c'est toit mon Bichon.
Surpris par cet échange, Guégan commit une bourde. Il demanda si la cheminée tirait bien, et provoqua le retour de flammes d'un échange amer...
- Hélas ! Comment le saurais-je ? répondit Mme Korfa
-Vous auriez dû rester, l'autre samedi. Ça s'est terminé par une soupe à l'oignon à sept heures, et après on est allés se balader sur la plage, voir le jour se lever. Putain, j'ai pioncé jusqu'à cinq heures de l'après-midi.
- Un dimanche de foutu, dit Paul.
- Il y en a cinquante-deux par an, dit Gaby.
- Un seul par semaine, dit Paul.
- C'est une façon de voir, dit Gaby
"Comment, tu ne me reconnais pas ? Mais c'est moi ! Truc ! Machin !" Hé ben non, Truc-Machin, je ne te reconnais pas, se disait Paul. Comment deviner le joli minois d'un écolier sous les traits bouffis d'un quinquagénaire bedonnant ?"
Pierrot était trop petit pour mettre un nom sur le tissu de son manteau de tristesse. Il lui faudrait lire bon nombre de romans et de poèmes avant d'admettre que ce tissu bien ordinaire peut être aussi moelleux qu'un édredon, quand on sait l'ôter et le remettre selon ses états d'âme.
ces professeurs n'avaient été que des fontaines auxquelles il allait s'abreuver. Ils étaient payés pour cela. Il était allé au lycée comme on monte dans un bus : pour bénéficier d'un service. Les chauffeurs changent, le bus effectue toujours le même trajet, et à chaque passager son destin.