On se reverra

On était une famille parfaite. Vraiment. La meilleure famille du monde. Ordinaire, banlieusarde, banale, prévisible. Avec des meubles bas de gamme, des repas bas de gamme et une voiture bas de gamme. [...] On ne parlait pas vraiment de sujets profonds à table parce qu'on s'en foutait. Après tout, on n'était pas importants, et c'était parfait. Rien de ce qu'on faisait ne changeait quoi que ce soit à rien.

En sortant de la pièce, il remarque le regard qu’elle échange avec son fils et l’assurance de son visage qui semble se fissurer un instant. Le garçon, l’air inquiet et contrarié, lui fait « non » de la tête. Elle lui répond en acquiesçant vigoureusement, mais il sent qu’elle aussi a peur, qu’elle commence à douter de sa décision, à se demander ce qu’il fait chez elle.
Après tout, il pourrait être n’importe qui.

Il y a forcément d’autres personnes dans la vie de Carl, mais Lily ne le connaît que depuis février. Ils se sont mariés il y a trois semaines, et cela fait seulement dix jours qu’ils ont emménagé. Elle sait peu de choses de lui et de son passé. Ici, elle ne connaît personne et personne ne la connaît.

Dans une demi-heure, elle pourra rappeler la police. Ils lui ont dit qu’on ne pouvait signaler la disparition d’un adulte qu’au bout de vingt-quatre heures. Mais dès hier soir, dès les premières minutes de retard, elle savait qu’il y avait un problème. Elle frissonne à cette pensée. Ils sont revenus de leur lune de miel dix jours plus tôt. Tous les soirs, il se dépêche de rentrer du travail et il n’est jamais en retard. Il lui apporte de petits cadeaux, comme une carte pour leurs deux semaines de mariage ou des fleurs. Il monte l’escalier à toute vitesse et s’écrie : « Ma chérie, tu m’as tellement manqué ! » Il la prend dans ses bras et respire ses cheveux longuement.

Lily a l’estomac noué et le cœur qui bat à tout rompre. Elle a l’impression qu’elle va s’évanouir depuis des heures, vingt-trois heures trente, très exactement.

Mais cet homme-là reste assis, immobile. Il fait froid, aujourd’hui, et les bourrasques giflent la plage d’embruns glacés. Pourtant, il est en tee-shirt, sans veste ni sac, sans chapeau ni écharpe. Alice a du mal à le cerner : pas assez débraillé pour être un rôdeur, pas assez bizarre pour être l’un des patients du centre psychiatrique de la ville. Il semble être en trop bonne santé pour être un junkie et il n’a pas bu une goutte d’alcool depuis qu’il est arrivé. Il regarde au loin, c’est tout. Alice cherche le mot juste pour le décrire. Il a l’air… paumé.

CRITIQUE

En pleine tempête, un homme est assis, seul,sur une plage où un cadavre a été retrouvé 20 ans plus tôt.
Découvrant qu'il est amnésique, Alice, mère célibataire et bon samaritain, décide de l'héberger.
Au même moment, Lily, jeune mariée, attend en vain le retour de son époux.
Une bonne surprise que ce roman flirtant entre thriller et romance.
Il alterne trois histoires dont une à l'aide de flash-backs avec les vacances d'un couple et de ses deux enfants.
Quel est le lien entre elles? Pas de panique, vous comprendrez les recoupements au fur et à mesure.
Les personnages sont attachants, surtout Alice, bordélique, déjantée, loin d'être une mère parfaite et mystérieux, le bel amnésique est-il aussi innocent qu'il y parait?
Du début à la fin, on hésite entre le prendre en sympathie ou à douter de sa vulnérabilité.
L'intrigue est légère, ne vous attendez pas à un suspens de "ouf" ou à de l'hémoglobine mais est pourtant bien ficelée.
L'auteur sème les indices petit-à-petit, ce qui tient le lecteur en haleine.
En conclusion, j'ai passé un très bon moment avec ce thriller psychologique qui doit beaucoup à ses protagonistes.

Il ne fait rien de mal, mais il y a en lui quelque chose de dérangeant. Peut-être est-ce dû à ce vide intérieur, cette mémoire disparue. À moins que ce ne soit sa masculinité. Sans identité, il n’est plus qu’un homme, une essence brute qui ne laisse pas Alice indifférente. Elle n’a pas couché avec un homme depuis très longtemps, et ça lui manque terriblement. Son désir est le moteur qui a organisé – ou plutôt désorganisé – toute sa vie.

_Plus j'attends, plus je sais que j'ai fait quelque chose de mal. Ce téléphone sonnait pour moi. J'en suis sûr. Quelqu'un veut me parler, quelqu'un sait que je suis là. Et c'est peut-être quelqu'un qui m'aime, ou quelqu'un qui veut me tuer.

_Je suis forcément venu ici pour une bonne raison, dit-il avec un sourire en jouant avec l'étiquette de sa bière. Après tout, j'ai acheté un billet de train pour cette ville précisément. Ce n'est pas dû au hasard. J'ai pensé que, si je faisais un tour, quelque chose allait peut-être me revenir.