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Critique de ninachevalier


Que la paix soit avec vous de Serge Joncour ( J'ai lu, 254 pages)

Depuis la perte de son emploi, le narrateur végète dans son appartement au troisième étage d'un immeuble vétuste.Il vit de façon spartiate et dans la crainte d'être expulsé,
n'acquittant plus son loyer. En outre, l'immeuble sis dans le quartier prisé du Marais
est convoité par des promoteurs.
La phrase d'ouverture du roman est percutante : « je suis bien la personne au monde avec laquelle je passe le plus de temps ». le narrateur trompe sa solitude scotché à sa télé, qui déverse son flot d'horreurs, ses images anxiogènes.
Son quotidien est ponctué par les journaux télévisés qu'il commente et consigne
dans une sorte de journal couvrant la période de novembre 2002 à avril 2003.
Il nous replonge dans le syndrome du SRAS ( 1), dans les prémices de la guerre en Irak.Il dévoile ses convictions pacifistes : « que la paix soit avec vous », son antiaméricanisme. Il montre comment le matraquage des images en boucle influe sur le spectateur qui ne fait plus la différence entre réalité et fiction. Cette addiction déclenche la psychose générale : « le monde joue à se faire peur ». La guerre omniprésente gangrène l'atmosphère dans tous les foyers. Les mesures antiterroristes sont mises en vigueur. Les manifestations et marches pour la paix se multiplient.

Pour le narrateur qui souffre d'agoraphobie, y participer relève du défi. Il vit presque en misanthrope. Il dévoile l'incident qui l'a coupé de sa famille et renvoyé à sa solitude du fils unique. Sa chambre ne fut-elle pas le premier laboratoire de son isolement ? Il fréquente par nécessité la concierge et la propriétaire. Par elles, il découvre le passé de l'immeuble, l'identité des locataires précédents, mais le mystère de son voisin, Monsieur Grossmann, (qui a échappé à la rafle des juifs, contrairement à sa femme et à leur enfant), demeure. Pourquoi de la lumière, une plante qui change de place, un papier bleu glissé sous la porte qui disparaît ? Qui détient le secret ?
La deuxième énigme qui éveille la curiosité du lecteur, concerne le narrateur taraudé de culpabilité lorsqu'il se réfère à « l'accident » : « Ne pas se dénoncer n'arrange rien ». Son commerce avec l'ami chinois permet à Serge Joncour de mettre en exergue les différences entre la culture chinoise et française. Cet ami « qui veille à sa réintégration », « maîtrise la ville, il a l'avenir, la femme, le monde au bout de ses doigts », le sort et le distrait. Si le narrateur n'a pas réussi à séduire la serveuse chinoise, il a su faire craquer Hannah, une jolie blonde rencontrée Place des Vosges.
Celle-ci se rappelle à lui par texto et lui annonce sa venue. Mais le héros est-il prêt à aimer ? le roman se termine avec la cessation supposée des hostilités, donc l'espoir pour une population qui a vécu l'enfer de la guerre et voudrait croire que «  ce sera la dernière ».
Pour contrebalancer l'atmosphère pesante, assombrie par la guerre, l'auteur déploie
sa dose d'humour «  les guerres, c'est la seule façon de voyager » et distille quelques scènes cocasses. Son combat avec la bestiole qui le terrorise, la recherche de la télécommande égarée, le travelling sur la poubelle qu'il déplace pour dégager la rue,
le bruit dont il ne déteste pas la provenance sont des instants de légèreté dans ce roman aux accents de gravité et de solitude.A l'heure où la presse est envahie de rétrospectives de mai 68, Serge Joncour nous livre une trace documentaire du conflit en Irak. Il dénonce les guerres qui laissent des traces indélébiles ainsi que l'impact néfaste des médias portés à la surenchère. Il anticipe et subodore que dans dix ans les films proposés auront pour trame les événements actuels. Un roman aux résonances plus qu'actuelles, que ce soit la télé réalité ou la « guerre réalité ». L'auteur décrypte le comportement du spectateur victime d'addiction à son petit écran cacochyme, qui « télécommande » sa vie. Il souligne combien les lieux, les murs ont une mémoire.

Le roman se termine par une tendre déclaration amoureuse d' Hannah : «  Toi, je manque »,(le « I miss you ») anglais, touchante par sa maladresse, rappelant Dora ( dans L'écrivain national). Attirance réciproque «  moi aussi », comme une chanson de Gainsbourg. La paix est dans leurs coeurs, l'avenir à eux.
Ces mots échangés marqueraient-ils la fin de la solitude du héros, sauvé de son huis clos oppressant par l'amour ? Hannah va-t-elle réenchanter sa vie ?
Et si toute une vie pouvait se jouer sur une rencontre ?

(1) SRAS : Syndrome respiratoire aigu sévère.
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