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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 # 30 °°°

Lors d'une partie de chasse illégale dans le Montana, quatre jeunes autochtones Blackfeet ont massacré un troupeau de caribous sur un territoire réservé aux anciens, et notamment une femelle gestante qui s'acharne à ne pas mourir pour défendre son veau embryon, avant de rendre l'âme . Dix ans après, les chasseurs sont devenus des proies. Une entité vengeresse veut les affronter les uns après les autres, protéiforme, capable de ruses et métamorphoses dont la principale est la femme-à-tête-de-caribou.

Le titre ironique détournant l'aphorisme raciste du général Sheridan ne laisse aucune place au doute, ça va dépoter sévère. Et ça va saigner ! du prologue ( dézinguant un des quatre gus ) au terrifiant match de basket final, comme dans une cascade de dominos, chaque partie vient percuter la précédente pour compléter le jeu de massacre.

«  La maison qui coulait rouge », le chapitre consacré à Lewis est juste exceptionnel. L'auteur nous colle à lui. Nous voyons ce qu'il voit, sans aucun autre point de vue pour desserrer l'angoisse qui monte : d'abord malaise, puis insidieuse paranoïa érodant sa santé mentale, puis hallucinations mortifères jusqu'à sombrer dans la folie et le chaos. Lewis était le seul des comparses à comprendre l'origine de la menace qui s'abat sur eux. Lorsqu'on suit les autres, la tension naît de ce qu'on sait, de ce qu'on devine, alors que leur ignorance les rend encore plus impuissants à affronter l'esprit vengeur.

La comparaison avec Stephen King est assez évidente tant Stephen Graham Jones maitrise les codes du fantastique, de l'horrifique et du slasher. Il ne craint pas de faire basculer des paragraphes dans la violence explicite et le gore, tout en faisant preuve de finesse suggestive pour développer une atmosphère troublante. L'étrangeté et les ténèbres s'infiltrent brillamment partout, dans le moindre recoin du texte avant de tout recouvrir, enrobé d'un humour très noir ( forcément ), très xième degré qui ravira les amateurs du genre.

Mais Un bon indien est un indien mort est bien plus qu'une histoire qui fait peur. le recours au fantastique s'entrelace au réel pour amplifier l'intrigue, mais également pour confronter avec force le lecteur à la réalité de la condition amérindienne contemporaine.

Stephen Graham Jones s'empare du trope de la malédiction indienne pour l'inverser et mieux interroger l'éternel hiatus entre tradition et modernité, à la façon d'un Tommy Orange. Les quatre personnages ont perdu les codes de la culture traditionnelle blackfeet, ils sont désorientés dans un monde de blanc, surtout Lewis qui a quitté la réserve et vit avec une blanche. En massacrant un troupeau de caribous juste pour le fun, ils ont commis le même type de péché que les Blancs ont commis contre leurs ancêtres au XIXème siècle : une violence aveugle et inutile qui ne peut qu'engendrer une profonde culpabilité.

Comment mettre fin au cycle de la violence ? Ce n'est pas anodin que la lumière vienne d'une adolescente, Denorah, la fille d'un des quatre, extraordinaire personnage qui fait mentir tous les habituels attributs virils des slashers en cherchant une issue en utilisant la compassion comme arme la plus redoutable plutôt que la vengeance qui s'offrait facilement à elle.

Un roman inclassable à l'énergie surpuissante, d'autant plus réjouissant qu'il a du fond.
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