On ne peut mener courageusement sa vie sans sautes de foi. Il y a des moments où tout se peint en noir et où l’on se croit arrivé au bout du rouleau. Mais non. Si le rouleau se déroule, c’est notre faute, et la fatalité de sa fin est notre œuvre. Ou alors on s’hypnotise soi-même à force de pensées négatives.
Nous avons nos jours de sérénité et d’omniscience et nos moments de frénésie où nous sommes pris au lacet de notre condition de mortels. Pour moi, il semble que j’aie toujours eu la hantise du mythe de Perséphone –comme si, en un sens, j’avais pressenti que, dans mon existence, j’aurais besoin de la sagesse de cette déesse pour affronter la disparition, par intermittence, de mes filles. Elles font des aller et retour entre l’Hadès et moi, et, chaque fois que je les revois, c’est le printemps.
Je n’ai jamais pu me résoudre à l’avortement, parce que, malgré mes convictions politiques, je vois en tout ovule fécondé une vie humaine naissante, que je serais aussi incapable de détruire que de lacérer une de mes toiles. Ma chance a été, en un sens, de ne pas être terriblement fertile, ce qui fait que, au contraire de beaucoup, le fléau des grossesses incessantes m’a été épargné.
À soixante ans, elle avait l’air infiniment plus enfantin que mes deux jumelles de six ans – à croire que, en elle, quelque chose s’était figé et que, seul, le corps avait pris de l’âge, tandis que l’esprit, allègrement, s’obstinait à rester en enfance.
La pornographie est la candeur même, au fond. Elle suppose l’existence d’une sorte de justice sexuelle en ce bas monde. Et chaque fois que le scénariste est à court d’idées, il ajoute des partenaires aux ébats. Avantage fallacieux du nombre.
Le temps paraît encore plus court si nous faisons le décompte des heures. Des vingt-quatre qui composent un jour, au moins un tiers est employé à dormir. De trois à six autres heures sont consacrées aux repas. Mettons-en deux pour le pansage de la bête, bain, lustrage, habillage. Puis, il semble que nous perdions une heure, disons (au moins), à courir d’un endroit à un autre. Ensuite, il y a le temps au téléphone (deux heures), celui des décisions à prendre, des instructions aux aides (encore une heure). Enfin, quelque part en route, nous gaspillons ou perdons une heure imprévue. Ce qui, au total, nous en laisse trois pour travailler, écrire, faire l’amour, prendre un peu d’exercice, rire, être avec notre famille, ou seuls avec nous-mêmes, réparer un oubli possible (le chien a-t-il eu à manger, les plantes ont-elles été arrosées ?), repasser les événements de la journée, etc.
Les mères divorcées apprennent à l’usage à mettre l’amour maternel au congélateur pour plusieurs semaines d’affilée, le temps que les enfants sont avec Papa. C’est cela ou devenir folle
La vie ne peut être comprise qu’à rebours,
mais on doit la vivre devant soi…
(Kierkegaard)
Je n’ai jamais beaucoup aimé la cocaïne ; la sinsemilla et le vin étaient mes drogues préférées. À vrai dire, ce n’étaient pas tant la sinsemilla et le vin que l’amour. Oui, faire l’amour était vraiment ma drogue : le moyen pour moi de gommer le monde ; mon opium ; mon analgésique ; mon laudanum, ma dévotion. Je m’en servais pour tuer la douleur de vivre. L’herbe et le vin n’étaient là que pour servir d’introduction au lit. Ouvre la bouche et ferme les yeux. Ouvre les jambes et serre fort les paupières. Ouvre le cœur et surtout ne regarde pas.
Mieux vaut vivre dans un splendide isolement que de courir après l’amour partout où il ne se trouve pas, avec un Dard truqueur ou un Triquet filant comme un dard.