Qui pourrait décrire le désir quand il est aussi torride, chargé de succulences, impérieux ? Il échappe aux mots. Seule, peut-être, la musique peut rendre la puissance de la houle qui le porte, le souffle brûlant et les vibrations qu’il dégage. Il m’a, naguère, inspiré un tableau (allons, tant pis, fini le secret ! On sait maintenant ce que je fais). La toile était ronde, et j’avais peint une incandescence orange au centre, vers laquelle vibrait un déferlement d’ondes rouges et lavande. (J’en étais alors à ma période dite abstraite, qui suivit ma période dite figurative, laquelle précéda ma période dite postmoderniste, celle des photogrammes.) Ces ondes de rouges et de lavande, semblables aux orbes futuristes d’une meurtrissure, j’en ressens physiquement le choc à présent : elles me pénètrent, m’envahissent avec les caresses de mon amant qui parcourent mon corps, glissent jusqu’à mes fesses, se coulent entre mes cuisses où ses doigts écartent la fente de la culotte rouge, trouvent l’orée satinée. Et je me liquéfie…
La suite, qui ne la connaît d’avance, moi la première ? – à ceci près que je suis affolée de désir.
Ce que je ressens n’a rien à voir avec la raison. Plus ancien que Pan et que les noires divinités mâles et femelles tapies dans l’ombre derrière lui, ce feu qui me brûle est bel et bien celui de la force primordiale de l’univers. Comment expliquer que j’aie pu choisir d’en faire l’auxiliaire de cet homme-enfant blond qui me répand ses mensonges dans l’oreille et sa semence dans le ventre ? Comment croire à pareille dépendance, pareille hantise, pareille dégradation ou même pareil amour ? Seul le peut qui a connu la Brûlure. Seul le peut qui a brûlé dans ces flammes jusqu’à ce que sa peau se craquelle comme celle des martyrs du Moyen Âge.
Mais c’est un luxe, de ressentir ce feu ; un luxe inconnu de la plupart des femmes. Y compris moi, à dire vrai, en un sens. Dans ma vie de veille, je suis une réussite (l’ordre de mes activités est-il important, à ce stade ?). Ma dureté en affaires, mon œil d’aigle dans la lecture des contrats, mon talent dans la négociation sont réputés. Pourtant, toute l’expérience de la vie que je dois à cette autre sphère ne me sert à rien ici
Nous avons nos jours de sérénité et d’omniscience et nos moments de frénésie où nous sommes pris au lacet de notre condition de mortels. Pour moi, il semble que j’aie toujours eu la hantise du mythe de Perséphone –comme si, en un sens, j’avais pressenti que, dans mon existence, j’aurais besoin de la sagesse de cette déesse pour affronter la disparition, par intermittence, de mes filles. Elles font des aller et retour entre l’Hadès et moi, et, chaque fois que je les revois, c’est le printemps.
Le temps paraît encore plus court si nous faisons le décompte des heures. Des vingt-quatre qui composent un jour, au moins un tiers est employé à dormir. De trois à six autres heures sont consacrées aux repas. Mettons-en deux pour le pansage de la bête, bain, lustrage, habillage. Puis, il semble que nous perdions une heure, disons (au moins), à courir d’un endroit à un autre. Ensuite, il y a le temps au téléphone (deux heures), celui des décisions à prendre, des instructions aux aides (encore une heure). Enfin, quelque part en route, nous gaspillons ou perdons une heure imprévue. Ce qui, au total, nous en laisse trois pour travailler, écrire, faire l’amour, prendre un peu d’exercice, rire, être avec notre famille, ou seuls avec nous-mêmes, réparer un oubli possible (le chien a-t-il eu à manger, les plantes ont-elles été arrosées ?), repasser les événements de la journée, etc.
D’abord ce fut prodigieux : une histoire démentielle, une dinguerie d’amour et de drogue. Jour après jour, vin et roses, sinsemilla et chrysanthèmes,cocaïne et amaryllis. Nuit après nuit d’étreintes sauvages et interminables, sans pouvoir dire combien de fois nous faisions l’amour, parce que cela n’avait ni fin ni commencement. Quand je relevais la tête, je voyais l’éternité au fond de ses narines. Nos nuits auraient pu être des millénaires, se mesurer en ères de temps géologique ou aussi bien compter leurs durées en simples minutes. Impossible de savoir. Dans le temps d’un seul de nos accouplements, des chaînes de montagnes surgissaient et retombaient, englouties, des laves en fusion se changeaient en roche dure, des sources d’eau chaude jaillissaient à gros bouillons, des volcans éteints se réveillaient.
Love Comes First by Erica Jong
(en anglais)