Noces de neige

Mathilde a perdu l’amour et la beauté, elle est pauvre et loin de chez elle ; j’ai perdu l’espoir qui m’aidait à supporter mon âme dans un visage et un corps repoussants. Nous sommes deux perdantes, que l’essentiel unit, et que tout sépare.

Soignez votre âme, c’est elle seule qui donne la beauté. C’est votre bonté seule qui vous rendra belle, plus sûrement et plus durablement que la fraîcheur de votre teint ou la finesse de votre taille. Nous sommes tous victimes de nos passions, elles nous égarent, nous blessent et nous anéantissent parfois.
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Sergueï vient de lui donner des fragments de cette douceur oubliée, qui en quelques instants ont traversé toutes les strates de la mémoire compliquée du corps, de ses imprévisibles et incontrôlables méandres, et rompu le barrage des souvenirs acides.

Aussi ne prend-on pas la peine de savoir où je me trouve, ni de se demander ce que je peux voir ou entendre, à croire que la couleur de mes robes épouse celle des murs.

La confrontation entre les images figées de sa mémoire, les souvenirs, les sons, les gestes, les mots qui s’y rapportaient, et cette démonstration brutale de la vie qui avance et n’attend personne lui fut pénible.

Ils rêvent alors de ce qu'ils ne connaissent pas, de ce qu'ils entrevoient à travers nous. Ils appellent cela l'âââme slâââve. Ridicule! Pauvres petits français! (...) Ils ne peuvent imaginer un seul instant ce que sont l'espace, la vie, le silence et la neige, la liberté, la violence de la Nature sur nos terres quand arrive l'été, nos lacs infinis et nos interminables forêts de bouleaux, dont il faut des heures des journées parfois à cheval pour voir la fin.

Je n'ai pas de talent pour les mots qui jaillissent, volent comme des papillons, des bulles de savon, ou des feuilles dans le vent, éblouissant l'auditoire. Je suis lente, je ne sais pas saisir ces échanges au vol, attraper un mot, le relancer, le renvoyer plus haut encore. Je ne sais pas briller.

Et ce mariage insensé de puissance et de grâce, lorsque le cheval semble exécuter de lui-même, dans une illusion de liberté et d'apesanteur, l'air d'école exigé. Je voulais être celle qui ferait danser les chevaux.

Nous nous éloignons du Sud, de son bleu, de ses parfums, de ses fêtes, de tout ce qu'il me plait d'oublier, dans une douce oscillation ferroviaire, à laquelle nous nous accommodons vite.

Un fait qui parait anodin peut se répercuter à l'infini, comme les ondes concentriques se propagent à la surface, bien après que la pierre jetée dans le lac a disparu (p149)