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Critique de Malaura


Immense plaisir d'avoir compulsé le journal d'un homme tel que Charles Juliet. Tristesse aussi, la dernière page lue, d'avoir à le quitter, comme on quitte un ami, car le sentiment est fort d'avoir vécu un vrai moment de partage et d'échange.
« Accueils »…un titre qui s'accorde impeccablement bien avec le ressenti du lecteur à la lecture de ce quatrième journal qui s'étend de 1982 à 1988. L'auteur, en nous ouvrant les portes de son intimité, nous accueille chez lui, dans sa sphère privée et se livre à nous avec toute la tendresse, l'humilité, la finesse et la pudeur dont il a fait montre dans les écrits qui ont fait sa notoriété de « Lambeaux » à « L'année de l'éveil ».

Charles Juliet est un homme de silence et de réflexion. Longtemps, son écriture a porté les stigmates de ses tourments et de ses peurs. Longtemps, la foi en lui et en son potentiel lui fit défaut. Si le besoin d'écrire était viscéral, les souffrances et les inhibitions étouffaient son aspiration à devenir écrivain, obstruaient le chemin qui menait à une écriture libre, dégagée des considérations superficielles, des comparatifs ou des valeurs d'estime.
L'écrivain s'exprime sur la complexité et la difficulté d'écrire ; l'angoisse de la page blanche, la déception, la gêne éprouvés face aux mots quand ceux-ci se refusent à vous ou reflètent mal ce que vous tentez de dire. Il y rapporte aussi la lutte de chaque instant et le travail acharné, la discipline stricte, l'application, la méticulosité d'orfèvre dans la recherche du souffle, du rythme, de la musicalité d'une phrase.

Un long travail sur lui-même, pendant de nombreuses années, a été nécessaire pour le libérer des démons et des chaînes qui entravaient sa progression.
Plongeur en eaux troubles, Charles Juliet s'est immergé dans les abysses de son « moi profond», à l'écoute des résonnances intimes de son esprit et de son coeur, pour accéder à cet éveil de la conscience qui s'apparente à la sagesse orientale.
Ce quatrième journal tenu par l'écrivain est la réalisation de ce cheminement intérieur, de cette quête de soi qui l'a porté pas à pas vers la délivrance, vers la source, vers la lumière.
La lecture d'oeuvres aussi hétéroclites qu'abondantes, des soufismes de Rûmî aux nouvelles de Carlson Mac Cullers, ont été les passerelles spirituelles fondamentales de son errance en pays mental.
Si les trois journaux précédents apparaissent plus sombres, porteurs de violence et de colère contenues, ce quatrième ouvrage autobiographique que l'on peut néanmoins lire indépendamment des autres, nous révèle un Charles Juliet serein et délivré, désormais en accord avec lui-même, un homme qui, au prix d'une totale remise en question de son être, a consenti enfin à ce qu'il était, à ce qui le définissait, un homme en pleine adhésion au monde et à lui-même.

La bonté, la chaleur, la simplicité de l'auteur affleurent à chaque ligne dans ses plaisirs, ses goûts, ses penchants.
La peinture compte énormément, révélant la fibre sensible de son être ainsi qu'un oeil vif et nuancé sachant observer avec l'émotion nécessaire pour alimenter son monde intérieur.
Charles Juliet fait état d'une admiration pleine d'humilité pour les artistes - écrivains, peintres, sculpteurs - qui l'ont intellectuellement enrichi : Beckett, Hölderlin, Bram van Velde, Giacometti, Soulanges…
Pour certains de ses contemporains, il a créé de véritables liens d'une amitié solide basée sur la même soif d'ouverture et d'éveil : Christian Bobin, Philippe Jaccottet, le peintre lyonnais Truphémus…

Et puis, au fil de sa quête, Charles Juliet parle également de tous ces anonymes qu'il a su écouter et comprendre, pour qui ses livres ont fait l'effet d'une révélation et avec lesquels il entretient des correspondances soutenues; rencontres souvent fortuites, toujours bénéfiques, de personnes qui s'adressent à lui pour livrer leurs tourments, leurs désarrois, leur difficulté de vivre et de s'accomplir en ce monde.
Au-delà du grand écrivain qu'il incarne, les gens voient en lui un ami, un confident, car les sujets qu'il aborde les renvoient à eux-mêmes et à leurs troubles existentiels. A travers la voix de Charles Juliet, c'est alors la voix de toutes ces personnes inaptes à exprimer leurs pensées profondes, qui se fait entendre.

Le journal de Charles Juliet est ainsi un long cheminement que l'homme, d'une sensibilité à fleur de peau, capable d'être bouleversé aux larmes par la tristesse se lisant sur le visage d'un anonyme croisé dans la rue, nous invite à partager en sa compagnie.
Chacun de ses mots libère la réflexion, amène à s'interroger sur sa propre personne, à se trouver ou à se retrouver.
Un lien particulier se crée entre l'auteur et le lecteur, une proximité tissée fil à fil sur le canevas des mots, des confidences et des anecdotes, une forme d'amitié solide, chaleureuse, et également pour le lecteur, la reconnaissance envers l'homme-écrivain qui se dévoile et se met à nu dans l'expression même de son rapport à l'écriture.
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