La question de l’auréole de l’écrivain ou de l’artiste avait été l’une des plus délicates de tous les temps. Cela pour la simple raison qu’arrivait toujours un moment où la soif de gloire, ainsi que l’envie, se déployaient ouvertement dans la vie publique. Qu’ils le voulussent ou non, les hommes de l’art étaient au centre de cette configuration. Face à eux, volontairement ou pas, se trouvaient les leaders politiques, les patriarches, les princes, les idoles nationales. L’auréole, bonne ou mauvaise, agissait différemment sur les deux camps. Et c’était là que se manifestait une surprenante différenciation : la mauvaise face de la gloire, la mauvaise réputation étaient aussi destructrices pour les idoles politiques qu’elles étaient impuissantes vis-à-vis des artistes. Et comme si cela ne suffisait pas, au lieu de les détruire, elles les rendaient souvent d’autant plus fascinants.
Parmi les mots posant désormais problème, certains pouvaient créer des difficultés inimaginables, ainsi, par exemple, monsieur, madame ou mademoiselle, pour n’en isoler que trois dans cet univers linguistique chaviré.
Ces trois mots étaient à juste raison considérés comme des fondamentaux de la phrase de transition. Chaque pays communiste avait eu son lot d’expériences, parfois surprenantes, telle l’Albanie.
La station se situe sur le trottoir de droite. Trolleybus numéro trois. Tu files jusqu’à la place Pouchkine. Là se trouve la statue que tu connais probablement. Exegi momentum, etc. Ensuite, en longeant d’abord par la droite, tu traverses la rue Gorki et, quelques pas plus loin, c’est le haut du boulevard Tverskoï qui la croise.
Contrairement aux usines et coopératives, le Moscou de mon roman avait justement besoin, lui, de méconnaissance.
Que pensais-je de Pasternak ?
La réponse : « Nous sommes différents » aurait été d’autant plus aisée que tout semblait l’attester : autre nation, gouvernement, époque, religion aussi. Sans parler de la langue.
Cependant, nous demeurions parents. Et il ne pouvait en être autrement. Moscou était devenue incontournable depuis le jour ou elle était devenue propice à l’art. Conséquemment, Pasternak devenait incontournable par le démon de la parentèle artistique.
Ne pouvant l’éviter, je me trouvais entre lui et l’Etat communiste. Donc avec le poète, contre l’Etat. Ou avec l’Etat, contre le poète. Ou neutre, sans l’un ni l’autre.
Entre-temps, quelque chose d’impensable était survenue : la possibilité de se positionner contre l’Etat soviétique n’était plus exclue. Mais certainement pas pour le cas Pasternak. Jamais de la vie. Du point de vue albanais, si l’Etat soviétique attestait une fois de plus de sa barbarie, ce n’était pas en étant trop sévère à l’égard du poète, mais au contraire, trop… clément !