AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,55

sur 141 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Magnifique roman sur le meurtre de centaines de coréens considérés à la solde des communistes par le gouvernement américain. Texte très pudique sur la douleur et l'impossibilité d'accepter la disparition d'un membre de la famille parce qu'il existe toujours l'espoir, tant que son corps n'a pas été retrouvé, qu'il ai pu s'échapper et ai décidé de changer d'identité. A lire pour prendre connaissance de cette sombre histoire trop peu ébruitée. Magnifique écriture!
Commenter  J’apprécie          30
Mlle Alice, pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Impossibles Adieux ?
"Han Kang est l'une des autrices coréennes les plus traduites et j'avais déjà repéré plusieurs de ses romans comme la Végétarienne. J'ai même Human Acts dans ma PAL. Mais finalement, j'ai eu la joie d'apprendre cette sortie chez Grasset et le bonheur de la recevoir, j'ai donc commencé ma découverte de sa plume ici."

Dites-nous en un peu plus sur son histoire...
"Alors que l'héroïne est au plus mal, l'une de ses vieilles amies l'appelle pour lui demander de l'aide. Elle va alors devoir se rendre sur l'Île de Jeju, dans des conditions particulièrement difficiles, et se replonger dans les souvenirs du passé, et ce cauchemar qui la hante..."

Mais que s'est-il exactement passé entre vous ?
"Les premières pages entretiennent volontairement la confusion entre l'héroïne et l'autrice elle-même et installent rapidement une ambiance particulière, un peu dérangeante. La tension restera présente tout au long du récit et très vite, on sera pris dans ses filets, tournant les pages, avides d'en savoir plus. L'histoire revient sur les évènements qui se sont déroulés sur l'île, juste avant la Guerre de Corée, et distille les informations, brin par brin, jusqu'à ce qu'on puisse brosser le tableau final, terrible. Une nouvelle fois, comme savent si bien le faire les auteurs coréens, c'est amené avec pudeur et délicatesse. J'ai adoré cet aspect, comme la plume, et la traduction, sublimes et poétiques. Il n'y a peut-être que le côté un peu onirique de la seconde partie, qui laisse beaucoup de questions en suspend, qui m'a moins séduite."

Et comment cela s'est-il fini ?
"Il faut garder l'esprit ouvert, être capable de ne pas attendre une fin terre à terre, qui répondrait à tout... Je m'y attendais et j'essaie d'apprécier cet aspect du récit mais ça reste encore difficile pour moi et c'est sûrement ce qui me sépare du coup de coeur. Malgré tout, c'est à lire absolument, cet hiver au coin du feu, pendant que l'héroïne, elle, se débat au milieu d'une tempête de neige."
Lien : http://booksaremywonderland...
Commenter  J’apprécie          30
« Impossibles Adieux » est un roman de la coréenne Han Kang, traduit par Kyungran Choi et Pierre Bisiou (2023, Grasset, 330 p.). A le lire, le récit me fait penser au « Die Winterreise » (Le voyage d'hiver), une suite de lieder de Franz Schubert, composé en 1827 sur 24 poèmes de Wilhelm Müller. L'unité du premier cycle du « Winterreise » est placé sous le signe du voyage. Il tient à l'obsession du passé, symbolisé par le mode majeur, en opposition avec le monde du présent, écrit en mode mineur. Cela commence avec un « Gute Nacht », de tonalité funèbre. Les douze lieder suivants qui ne regardent plus vers le passé, mais vers la mort, avec « Die Nebensonnen » (Les Soleils Fantômes). « Je vis trois soleils dans le ciel ». Lieder qui accompagne le roman de Gérard Oberlé, le grand maître de la librairie antique et surtout du roman noir, dans son roman « Retour à Zornhof » (2004, Grasset, 260 p.). Depuis son superbe manoir-bibliothèque nivernais de Pron, Gérard Oberlé revient sur ses terres, via Henri Schott, un écrivain d'une soixantaine d'années. Malade, du genre qu'il ne soigne pas, il revient dans le village de son plateau lorrain, Danne, à côté de Phalsbourg, avant la descente sur Saverne par l'autoroute. Paysage plat, battu par les vents et la neige en hiver, le vrai nom est « Danne-et-Quatre-Vents » d'où la connection avec « Die Winterreise ». J'y pense chaque fois que j'y passe pour aller à Strasbourg. À la fin du livre, l'auteur, malade, mais comme apaisé, pourrait reprendre à son compte la mélodie de Schubert : « Je suis au bout de mes rêves / Pourquoi m'attarder parmi les dormeurs ? »
Ce sont donc trois femmes, Gyeongha, son amie Inseon et sa mère qui vont être confrontées à leur mémoire commune. C'est le massacre de Jeju de 1948, où des milliers de personnes ont été tuées par le gouvernement soutenu par les Américains.
Le « soulèvement de Jeju » commence le 3 avril 1948 sur l'île de Jeju au sud de la Corée. Cette dernière est encore unifiée. En 1948, le gouvernement provisoire de l'armée américaine se retire pour transmettre le pouvoir à un président élu, L'assemblée des Nations Unies appelle à la tenue d'élections sous la supervision de la commission de l'ONU. En mai 1948, le comité populaire provisoire organise des élections législatives et les candidats soutenus par le gouvernement remportant 86,3 % des voix pour un taux de participation de 99,6 %. Ces élections sont aussi organisées clandestinement dans le sud. Mais, le pays va vers la partition, qui débouchera sur la guerre de Corée, de juin 1950 à juilllet 1953. le soulèvement de Jeju et sa répression coûtent la vie à entre 14 000 et 60 000 personnes sur une île qui compte à l'époque 300 000 habitants. L'intervention de l'armée sud-coréenne est particulièrement brutale, et cause la destruction de nombreux villages. Par réaction, elle suscite des rébellions dans la péninsule ainsi que la mutinerie de plusieurs centaines de soldats. La rébellion dure jusqu'en mai 1949. Quarante mille résidents de Jeju s'enfuient au Japon, et créent une « Jeju town » à Osaka. C'est donc un traumatisme très fort qui marque le pays tout entier et ses habitants, avant que la partition du pays en 1953 ne finisse par couper les populations en deux mondes séparés.
Ce n'est ni la première, ni la dernière fois, que la Corée du Sud vit une insurrection qui se termine en bain de sang. Un autre roman de Han Kang « Celui qui revient » (2016, Serpent à Plumes, 234 p.) est sorti sous une belle couverture grise à fleurs d'hibiscus dans une traduction de Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot. Un véritable choc littéraire que ce livre écrit en hommage aux morts des émeutes de mai 1980. Cela se passe après la prise du pouvoir par la junte militaire, régime on ne peut pas dire plus autocratique avec quelques libertés vis-à-vis des droits de l'homme. Etait ce le prix à payer pour que les chaebols prennent (avec l'aide du gouvernement) le pouvoir économique du pays (et ceci au détriment de certaines règles démocratiques et à quelques libertés suspendues). Cela ne se passe pas sans heurts et les manifestations augmentent à Séoul, et à Gwangju, l'ancienne capitale de la province de Jeolla du sud. Les problèmes interviennent après l'assassinat de l'ancien président Park Chung-hee, semblant de libéralisation et en mai 80, grandes manifestations dans tout le pays. Répression impitoyable par l'armée, sous prétexte d'éradiquer le sursaut communiste (non vérifié). La répression a été très brutale, avec tirs à balles réelles. En particulier, à Gwangju, on estime les morts entre 600 et 2000 sur environ 200 000 manifestants pour une ville de 750 000 habitants. Les personnes arrêtées sont au nombre de 56 000 dont 39 000 envoyées en camps de rééducation. L'actuelle présidente Park Geun-hye est d'ailleurs la fille du président assassiné. Elle s'est timidement excusée pour les dégâts causés par son père sous son régime (c'est joliment dit, en tous cas). Il est frappant que 25 ans après, ces blessures liées à la répression ne soient toujours pas refermées. A cette époque en 2008, les étudiants étaient toujours en cités séparées par sexe.
La Corée du Sud est un pays où le taux de suicide est très élevé. On peut comprendre pourquoi. J'avais été frappé, lors d'un voyage à Séoul en 2008, depuis le Japon voisin, par l'aspect de la ville. Ville très vaste, peuplée, mais aux contrastes presque choquants. Une ville ancienne, avec ses marchés locaux très animés, et une périphérie dans lesquels les immeubles rendent quelconques nos cités banlieusardes de type Nanterre ou du 9.3, presque idylliques par leur taille. Idem pour la campagne environnante, parcourue en TGV (modèle français) que l'on a été très fier de me montrer jusqu'à Daejeon à une petite heure au sud de Séoul.
Retour à Jeju et à ces trois femmes. Depuis, la dictature militaire avait fait de cette histoire un sujet tabou jusqu'au milieu des années 90. Dans le dialecte de l'île, il y a un mot qui désigne « garder le silence », et qui accompagne toujours le récit de Jeju.
Le roman est structuré en trois parties. Dans la première, Gyeongha quitte Séoul pour l'île, le tout dans une violente tempête de neige. Dans la seconde partie, on plonge dans les abîmes de la nuit de l'être humain. Et dans la troisième, les personnages s'échangent une bougie. Sachant que le thème de ce roman est un massacre, Han Kang voulait un roman léger, d'où les thèmes de la neige, de l'oiseau et de la flamme. Ces trois entités se réflètent dans le texte, à la manière d'une construction pénitentiaire qui surveille tout, avec, en ombre chinoise (‘mauvais jeu de mot) les ombres des disparus de Jeju. Par exemple, Gyeongha rêve une scène où des arbres noirs ont une taille humaine. « le champ où je me trouve s'étend sur une colline hérissée de milliers d'arbres noirs sans cimes ni branches, de troncs nus. Ils sont de tailles légèrement variées, comme des personnes d'âges différents. Il ne sont guère plus épais qu'une traverse de voie ferrée mais courbés, tordus, l'ensemble évoquant une frise composée de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants maigres qui se tiendraient sous la neiges, épaules voûtées ». Cela va fournir à son amie Inseon, un moyen d'interpréter une intuition à propos de sa défunte mère décédée, qu'elle ne saisit pas entièrement. C'est une partie du triangle du roman, où les trois femmes sont liées par l'invisible et le non-dit : un rêve, le silence lié au récit du massacre de Jeju, ou à l'amour qu'elles se portent.
Avec en toile de fond l'autre massacre, celui de Gwangju, l'ancienne capitale de la province de Jeonam tout au Sud de la péninsule, où Han Kang est née en 1970. Puis surtout, ce sont les émeutes de 1980, que Han Kang prendra pour cadre dans « Celui qui revient » (2016, Serpent à Plumes, 234 p.). Roman terrible que cette succession de sept nouvelles sur les émeutes et leur répression. Comme pour exorciser la violence, en 2018, elle prend une chambre à Jeju. « [elle] marchait beaucoup, et [elle s'est dit] au cours de {ses] promenades, que ce rêve était lié à la mémoire, à ce lieu, mais aussi à l'histoire universelle de l'humanité ».
Et là, à Jeju, elle découvre la neige, « La neige tombe. / Sur mon front et sur mes joues. / Sur ma lèvre supérieure et sur mon cou. / Elle n'est pas froide. / Elle est comme des plumes. / Juste le poids de la pointe d'un pinceau ». Elle part à la suite de Gyeongha qui part là-bas pour sauver le perroquet blanc d'Inseon, qui s'est coupée deux doigts, et se trouve captive d'une tempête, accomplissant un périple pour rejoindre la maison isolée de son amie. Il fait froid, le paysage disparaît sous la neige, elle perd ses repères. « Je sors dans le séjour et constate que la neige continue de tomber derrière la fenêtre gris-bleu. de gros flocons, comme si d'innombrables oiseaux blancs s'abattaient en même temps, silencieusement ». C'est le retour au « Winterreise ». C'est un livre de deuil qui, à l'image de la complainte romantique du lieder, cherche la beauté au sein même de la perte. Elle a alors cette phrase magnifique « Je voulais qu'il neige du début jusqu'à la fin du livre. Quand il neige, j'ai toujours l'impression que l'on entre dans une autre dimension. La neige tombe entre la réalité et le rêve, et crée un espace intermédiaire qui remplit l'espace vide dans cette histoire, l'espace que pourrait occuper Dieu ». C'est aussi la signification du titre, où en coréen le terme « adieu » signifie à la fois l'adieu, et le fait de se détacher de quelqu'un. « Impossibles Adieux » c'est donc la décision de ne pas dire adieu, mais aussi le fait de ne pas faire ses adieux.
Retour aussi au bouddhisme et à la pensée tao, avec l'absence-présence de Dieu, et surtout la symbolique du chiffre trois. Avec les trois personnages féminins, la réalisatrice de documentaires, l'artiste ébéniste et la mère qui consacre sa vie à attendre le retour de son frère victime du massacre, la romancière dessine ce qui pourrait être un autoportrait. On constate alors que le roman qui est presque un rêve ou un onirisme écrit, est un un hymne à l'amitié, et surtout un formidable réquisitoire contre l'oubli. « Tout devient silencieux, la fin d'une musique, le volume baisse progressivement avant de s'effacer, comme le visage de quelqu'un qui s'endort soudain en arrêtant de chuchoter ».
Et retour sur les oiseaux « Je ne sais pas comment dorment les oiseaux, ni comment ils meurent. Si leur vie s'arrête quand les dernières lumières s'éteignent. Si leur vie, comme un courant électrique, continue de couler jusqu'à l'aube ».


Commenter  J’apprécie          20
Lorsque j'avais lu « la végétarienne «  de cette auteure, l'étrangeté de l'univers de celle-ci m'avait laissée un peu abasourdie sur le côté avec l'impression de n'avoir pas compris ce livre de qualité. Même impression avec ce livre-ci que j'ai beaucoup aimé mais auquel je crains de n'avoir pas compris grand chose. Toutefois , constatant que je faisais énormément de rêves au cours de ma lecture à la différence de mes nuits habituelles, j'ai conclu qu'elle s'adresse à notre inconscient et qu'il ne s'agit pas de tout comprendre mais de ressentir l'émotion et la volonté de l'auteure.
Commenter  J’apprécie          10





Lecteurs (422) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3239 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}