Citations sur La nuit des cannibales (14)
Bref, j'ai une agence de mannequins, qui marche assez bien pour m'avoir payé ma classe E, mon appart, et ma Rolex - d'occase, mais deux mille euros quand même. Je m'habille en noir, parce que dans mon milieu, c'est ça ou s'habiller créateur, or je me contrefous des fringues. Je me suis fait pousser une petite barbe, c'est la mode, et puis ça va bien avec mon style. Je me suis offert une la dernière télé 3D,que je n'ai jamais regardé en 3D, parce qu'il n'y a pas beaucoup de films en 3D, mais quand il y en aura, j'aurai déjà la télé.
Je veux effacer ma médiocrité passée, oublier mes six mois de guitare - parce que j'aimais U 2 - mes six mois de basse parce que j'aimais Sting - mes six mois de batterie - parce que j'aimais Phil Collins - mes six mois de saxo - parce que j'aimais Madness . Je veux le talent , l'aisance , le génie.
Les gens ont beau savoir ce que je suis, ils s’entêtent à me voir comme ce que j’ai l’air d’être.
— C’est sympa, les garçons, d’avoir souhaité bonne chance à Alex pour son concours. Non, vraiment, c’est sympa, j’apprécie. Il démarre sans attendre de réponse, et met la radio – Nostalgie – pendant que je me retourne vers mon frère. Je viens d’apprendre qu’il n’est pas Alex. Et lui aussi, il vient de l’apprendre.
Ça existe encore, la flûte à bec ?
Trois générations après moi, on force encore les gamins à souffler – faux – Jeux interdits dans une flûte en plastique... Comme quoi c'est pas demain qu'ils réformeront l'Education nationale.
Le mot « devoir » paralyse l’ado comme le mot « radar » fait lever le pied droit.
Je me suis offert la dernière télé 3D, que je n’ai jamais regardée en 3D, parce qu’il n’y a pas beaucoup de films en 3D, mais quand il y en aura, j’aurai déjà la télé. J’ai un iPhone, un iPad, un iPod, trois crédits dont un sur vingt ans, et une pension alimentaire qui me rappelle tous les mois qu’il n’y a rien de plus con que le mariage.
En gros, je me démerde très honorablement pour mes quarante-trois ans.
Devant la classe, ça discute sec, et ça pue l’ado comme jamais. Un grand avec une mèche de pub pour gel coiffant me regarde en ricanant avec ses potes, il ne m’aime pas. Deux nanas viennent me parler, une belle, une moche, pour m’inviter à une soirée le 3, moi je dis « euh ouais cool », même si bien sûr je n’irai pas, en plus, le 3 je ne sais même pas quand c’est. Les dates, pour un ado, ça ne compte pas
Les premières notes résonnent, j’avoue que c’est pas mal, et puis merde, c’est Chopin. Les yeux fermés, sans partition. Un nocturne qui coule, serpente, cascade, monte, descend, remonte, si doux que j’en oublie mon cours, j’en oublie ma mort, et je ferme les yeux, moi aussi. Je pense un peu, à ma vie, à mon corps, à ma terrasse au soleil de juin, à mon enfance – la vraie – puis à rien, seulement aux notes qui tombent comme une pluie fine sur un putain d’arc-en-ciel. C’est pas possible d’être aussi con et de jouer comme ça…
Rien de plus crédible qu’un mannequin recommandé par un photographe, d’ailleurs cette pauvre Virginie perd trois minutes à me donner le mail de l’agence, l’adresse de l’agence, et précise qu’il faut envoyer un composite, mais pas de photos.