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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un très beau roman autobiographique consacré à la mer et aux voyages, pour tous les amoureux des bateaux. Un excellent texte écrit par un marin poète et écrivain.
Lien : http://araucaria.20six.fr/
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Le Pirée, Marseille, Colombo, Rotterdam, Fremantle, Buenos Aires … Des villes, mais surtout des ports, d'attache ou de relâche, où s'encanaillent les marins et où ils se déchargent tout à la fois de leur tension et de leur maigre salaire, pourtant durement gagné.
Autant de villes familières où, dès l'entrée du port, des messages dans toutes les langues du monde leur sont adressés : promesses, méfiance, quartiers à fréquenter, femmes à fuir. Ces ports sont la seule terre que touchent ces hommes de l'eau. Car, passée la semaine dans un bouge quelconque, il faut repartir sur les flots, dans des carcasses de métal où le bruit des machines se mêle à la graisse noire et à la chaleur, ou bien au froid, des climats que l'on traverse. Voyages terribles où, à tour de rôle, les marins surveillent la trajectoire et la santé de leur esquif. C'est le quart. Quatre heures, mornes, où pourtant les hommes se parlent, se gaussent, se souviennent.

C'est cela, le quart, de Nikos Kavvadias. Des souvenirs d'hommes, rompus à la solitude et à la petite vérole, qui prient de ne pas être engloutis par les flots et pestent encore contre leur condition. Paru en 1954, le roman a l'aura de ces livres qu'on ne sait vraiment définir : récit de souvenirs, essai sur la condition de marin, profonde réflexion sur la condition humaine. On hésite, et on se laisse porter. Par ses phrases, concises, par ses mots qui, le temps d'une phrase, s'envolent en inspirations lyriques, par sa façon de dire, sans prendre le soin de présenter, et de relater et de transcrire les paroles des hommes qu'il a côtoyé, Nikos Kavvadias a construit une oeuvre dont il restera, plutôt que des images, une trace invisible dans l'esprit.

Sans cesse, ces mots, justement, reviennent aux femmes. Mères, épouses, putains : le beau sexe n'a pas beaucoup de choix. Les marins, eux, en sont tout à la fois les bourreaux et les victimes. Car derrière la maltraitance des mots, cette façon de dire et de mépriser la femme, de la résumer à son caractère sexuel, il y a la souffrance d'en être constamment séparé. Et les souvenirs, qui rejaillissent dans le quart, sont rarement autre chose que des récits d'amours, souvent brèves, souvent intenses. Il y a cette Ecossaisse que le radio-télégraphiste aida à avorter dans un port de Ceylan. Il y a cette prostituée qui erre dans les ruines de Marseille en demandant des nouvelles de son ancien maquereau. Il y a aussi cette épouse qu'un marin retrouve dans les bras d'un autre, et qu'il se met à traiter comme les femmes qu'il croise dans les ports. Relation impossible et pourtant nécessaire entre ces hommes, qui vivent dans leur solitude (ne pas pleurer, ne pas dire qu'on a peur …), et ces femmes qui les accueillent, les cajolent, les rendent fous et se rendent maîtresses de toutes leurs discussions.

Patchwork littéraire qui met à l'honneur la condition humaine à travers celle du marin, le Quart est un objet littéraire qui ne ressemble à aucun autre. Ecrit dans le respect de ces hommes de la mer, dans l'urgence, aussi, de dire et de rester fidèle à ces heures passées dans le confinement, c'est un roman qui, malgré sa simplicité, est difficile à appréhender et à analyser, difficile à lire aussi, parfois, quand les personnages se bousculent, ne sont pas identifiés, car le plus important est ailleurs : le plus important, c'est ce qui est rapporté. Et, étant rapporté, survit. Comme une tombe ultime à tous ces anonymes, laissés dans des ports étrangers car trop malades pour être transportés, ou basculés par-dessus bord s'ils décédaient en pleine mer. Une tombe de mots.
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Unique roman du poète grec Nikos KAVVADIAS (1910-1975), « le quart » est à la fois une curiosité et un poids à l'estomac. Milieu du XXe siècle : un cargo crasseux et bringuebalant appareille De Grèce direction la Chine afin de livrer des armes aux insurgés d'un pays alors à feu et à sang. de cette guerre, nous n'en apprendrons rien puisque nous allons suivre l'équipage du Pythéas composé d'une trentaine de marins durant son trajet aller, et être comme invités de force par KAVVADIAS au coeur du bateau, le nez dans sa merde.

Dès l'entame, l'odeur nous emplit les navires : aigre, sale, nauséeuse. Nous avons ici affaire à des marins ayant sacrifié leur vie à leur métier, peu instruits, bestiaux et sauvages. Ils se succèdent pour le quart (période de 4 heures consécutives de veille afin de vérifier si tout se déroule bien à bord), échangent des souvenirs, des tranches de vies dans des propos pouvant être orduriers. Notons la présence de Nico, double de l'auteur qui fut lui-même télégraphiste.

Les conversations tournent autour des femmes. Si les marins les évoquent en termes crus, grossiers voire vulgaires, s'ils semblent n'avoir aucune empathie, aucun sentiment, c'est parce qu'elles leur font peur, les intimident. Souvent à bord de cargos ou paquebots divers, ils se sont contenté de les côtoyer lors d'escales dans des ports, des prostituées, des femmes aux meurs légères qui savent bien qu'un marin forcément en manque d'affection ne va pas rester insensible à leurs charmes.

Certains membres de l'équipage ont déjà été atteints de maladies vénériennes, d'autres en souffrent durant la présente traversée. Les langues se délient. Les femmes, toujours, que l'on imagine cradingues elles aussi, remémorés en d'amples anecdotes salaces servant à exciter le copain, à lui rappeler les joies qu'il peut rencontrer sur la terre ferme, lui faire oublier la promiscuité sur un bateau déglingué qui semble flotter miraculeusement.

Le langage est populaire, vert, sans fioritures, toujours sur le fil du rasoir, il sent le poisson pourri, son haleine est saturée d'alcool, de fumée et d'épuisement. Car le repos est bref, les tâches nombreuses, un typhon s'amorce au loin. Et puis, sans que l'on s'y attende, des moments de grâce, nous rappelant que KAVVADIAS était avant tout un poète : « Dévêts-toi. Je te donnerai la brume pour vêtements ».

Dans une ambiance rappelant un bistrot crasseux, les échanges d'histoires familiales se succèdent, appartenant à un passé plus ou moins lointain, suivis ou précédés de faits divers maritimes, tragiques mais devenus tellement banals. Et toujours cette langue imagée, puante elle aussi, qui n'épargne jamais les femmes : « Trous sans fond ! Vous sauteriez tous les feux de la Saint-Jean que ça ne vous sècherait pas, bande de truies ». Ces marins sont des fauves ayant laissé les émotions au port d'attache. Ils débarquent enfin en Chine, où les bombes pleuvent, mais où une autre maladie les attend : la peste.

Roman du quotidien d'un équipage déguenillé, avec ces termes techniques et une précision extrême qui peuvent parfois noyer le lecteur, mais surtout roman du désespoir, de la saleté humaine, du manque de repères, il est un gros pavé sur une surface océanique fichant le mal de mer à chaque page. KAVVADIAS tient le gouvernail de bout en bout, sachant pertinemment qu'il ne laissera aucun répit ou presque. le voyage sera éprouvant en même temps qu'instructif. Si les anti-héros de cette histoire ne sont pas précisément attachants, ils peuvent par moments faire preuve d'un semblant d'humanité qui paraît quasi incongru au milieu des miasmes. Son atmosphère peut être aisément rapprochée des récits maritimes désespérés de Joseph CONRAD. Roman maritime phare, abject autant que saisissant par la force de ses personnages, il est ici traduit par Michel SAUNIER et préfacé par Olivier ROLIN.

Je ne peux pas clore cette chronique sans vous annoncer une merveilleuse nouvelle : d'ici la fin de l'année si tout va bien, les éditions Signes et Balises, après avoir déjà fait paraître 2 livres de Nikos KAVVADIAS (présentés sur le blog), vont publier son oeuvre poétique complète. Inutile de vous dire que Des Livres Rances se réjouit d'un pareil projet, d'autant que le poète grec a rarement été traduit en français.

https://deslivresrances.blogspot.com

Lien : https://deslivresrances.blog..
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Spécial envie de bateaux, d'épopées sur les mers, de quotidien sur les eaux, d'horizons infinis et de micro-problèmes corporels. Ca sent le goudron, la sueur, la chauffe du charbon, le poisson, les embruns. Et pour ce poète grec dont c'est l'unique roman, ça sent la femme. Celle des ports où on ne fait que passer, où on revient en escale, l'oreille toujours en alerte pour ne pas rater la sirène du réembarquement. Les putes, glorifiées dans leur humanité, puissantes ou paumées, offertes ou méchantes, dures à cuire, malignes ou perdues, et leurs histoires dans toutes les ruelles sombres des ports. Les maquerelles et leur sens pratique, qui ont toujours raison mais qui les écoute ? Les qui ne se vendent pas, les pires, celles qu'on épouse mais qui ne peuvent convenir aux marins dont le pire destin est de rentrer au pays et d'y vieillir dans sa maison, à terre, l'insoutenable terre. Et les mères, protectrices de leurs rejetons drogués aux flots.
C'est crasseux, j'aime bien. On étouffe dans les cabines qui puent, les postes de commandement ou de radio, on crève de chaud dans ces petits espaces, on compare ses blennorragies, on hausse les épaules en craignant le pire. On étouffe, tout en voguant sur l'immensité de la mer, avec qui on ne s'amuse pas. On ne pense qu'au quai suivant, du pays suivant, et quand on y accoste, on ne pense qu'au retour sur le bateau, et malheur à celui qui voit partir son embarcation pour un retard de cinq minutes, il est maudit, sur le plancher des vaches d'un lieu dont il ignore tout - sauf l'adresse d'un bordel, peut-être. Ya de l'homme, et l'homme parle des femmes. Ya de l'ode dans l'iode, de la familiarité sur cette petite planète si vaste. On embarque.
Nikos Kavvadias était pote avec un autre écrivain grec, Stratis Tsirkas, qui a écrit le très vénéré Cités à la Dérive. Ils sont forts ces Grecs, quand ils veulent nous emmener en voyage.
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Très beau roman, âpre et fort composé de récits de marins, sur la solitude, le manque , la souffrance et la mort, animé cependant d'une formidable énergie. Unité de lieu, le cargo, où sont contées ces tragédies individuelles qui évoquent Marseille, le Pirée, Ceylan, et l'Amérique.
Un livre intense, d'une lecture parfois difficile, à laquelle on pense encore longtemps après l'avoir refermé.
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