Vous ne pouvez pas toucher les nuages, vous savez ; mais vous sentez la pluie et savez à quel point les fleurs et la terre assoiffée sont heureux de l'avoir après une chaude journée. Vous ne pouvez pas toucher l'amour non plus ; mais vous sentez la douceur qu'il déverse dans tout. Sans amour vous ne seriez pas heureux ou vouloir jouer. "
La belle vérité a éclaté sur mon esprit - j'ai senti qu'il y avait des lignes invisibles entre mon esprit et les esprits des autres.
Nous descendîmes le sentier qui menait au puits, attirées par le parfum épandu dans l'air ambiant par le chèvrefeuille qui formait un dôme au-dessus du puits. Quelqu'un était précisément occupé à tirer de l'eau, et mon institutrice me plaça la main sous le jet du seau qu'on vidait. Tandis que je goûtais la sensation de cette eau fraîche, miss Sullivan traça dans ma main restée libre le mot eau, d'abord lentement, puis plus vite. Je restais immobile, toute mon attention concentrée sur les mouvements de ses doigts. Soudain il me vint un souvenir imprécis comme de quelque chose depuis longtemps oublié et, d'un seul coup, le mystère du langage me fut révélé. Je savais, maintenant, que e-a-u désignait ce quelque chose de frais qui coulait sur ma main. Ce mot avait une vie, il faisait la lumière dans mon esprit qu'il libérait en l'emplissant de joie et d'espérance. Il me restait encore bien des obstacles à franchir, il est vrai, mais j'étais pénétrée de cette conviction qu'avec le temps j'y parviendrais. (p. 37-38)
J'ai la perception de choses invisibles pour moi.
J'ai ce sentiment que nous portons en chacun de nous le pouvoir de comprendre les impressions et les émotions ressenties par l'humanité depuis l'origine des âges. J'imagine que chaque individu a une mémoire subconsciente du vert des champs, du murmure des eaux, et ni la cécité ni la surdité ne peuvent, je crois, le priver de cet héritage que lui ont transmis les générations du passé. Cette capacité atavique forme une sorte de sixième sens, qui permet de voir, d'entendre et de sentir tout à la fois.
Les mots sont les ailes de l'esprit , n'est-ce pas ?
Pendant les dix-neuf premiers mois de ma vie, j'avais eu des impressions d'étendues vastes et verdoyantes, de ciel lumineux, d'arbres et de fleurs, et l'obscurité qui suivit ne pouvait balayer entièrement ces souvenirs de mon esprit. Quand une fois, nous avons joui de la lumière du jour, tout ce qu'elle nous a permis de voir est devenu notre bien.
Peut-on nier, maintenant, que je sois accessible, en dépit de toutes mes imperfections physiques, aux beautés du monde extérieur ? On trouve partout des merveilles, même dans les ténèbres et le silence et, si imparfait que soit mon état, je sais m'y plaire.
Quelquefois, cependant, je l'avoue, une sensation d'isolement, comme un brouillard glacial, m'environne. Je me sens immobilisée au seuil d'une vie dont jamais les portes ne s'ouvriront pour moi. Au-delà tout est lumière, harmonie ; mais une cloison infranchissable m'en sépare. Le destin, silencieux, impitoyable, me barre la route.
À la campagne, on se trouve en présence de la simples et belle nature, et l'âme n'est pas attristée par la lutte cruelle pour la vie, qui est le ressort même des centres populeux.
C'est ainsi que mes amis ont fait l'histoire de ma vie. De mille façons différentes, ils ont transformé mes imperfections physiques en merveilleux privilèges, et m'ont mise en état de marcher sereine et heureuse dans la nuit qui m'enveloppe.
J'aimais Petites Femmes, parce que ce livre me faisait comprendre la parenté qui m'unissait aux petites filles et aux petits garçons qui ont reçu les dons précieux de la vue et de l’ouïe