Après le Festin, j'avais été tellement déçue par
Divorce à l'anglaise que je ne vous en avais même pas parlé. Ce n'est pas que le thème soit particulièrement sujet à exposer les gens sous un jour favorable, pas non plus que Margaret Kennedy soit estimée pour sa mansuétude à l'endroit de ses personnages, mais tout de même, j'avais été déçue de trouver, non pas une critique acerbe, je m'y attendais, mais le fondement de celle-ci reposer sur une mesquinerie un peu misogyne et assez datée. Ce qui m'avait navrée. Mais passons outre
Divorce à l'anglaise, comédie grinçante pas vraiment amusante mais tout à fait dépassée pour nous concentrer sur
les Oracles qui, eux, valent vraiment le détour.
Comme souvent avec cette autrice, la scène a tout d'un décor de théâtre. Summersdown est une petite ville de la province anglaise après la Seconde guerre mondiale. Elle comprend ses coteries, ses églises et ses lieux culturels. Ses bonnes gens, ses commères et ses loyaux maris selon des constellations qui semblent tout à la fois révéler l'éternité de la condition humaine et n'appartenir qu'au tout petit monde dépeint, délicieusement enfermé dans des moeurs d'un autre temps.
Las pour la morale et la pudeur, il semblerait que la guerre ait amené son lot de détraqués, à moins que ce soit le nouveau monde, ou encore les Muses dont la fréquentation n'est jamais exempte de certains dangers. Mais au diable les causes, seul compte le résultat et il est troublant : dans une maison retirée du centre bourg s'est installé depuis quelques mois Conrad, un sculpteur étranger apparemment réputé avec une femme qu'on dit ne pas être son épouse et une ribambelle de gosses tous plus dépenaillés les uns que les autres.
Scandale ! ou aubaine ? Chacun a son opinion sur la question, ainsi les plus éclairés amateurs d'art telle l'insupportable Martha Rawson, bien décidée à mettre le grappin, de gré ou de force, sur le pauvre Conrad afin d'asseoir sa réputation de mécène au nez fin, ou les plus provinciaux des habitants pour lesquels ces sales gamins auraient bien besoin que quelqu'un les mouche et leur passe un gant de toilette sur le museau de temps à autre, surtout avant d'aller à l'office.
Dick
Pattison lui ne sait pas trop quoi en dire. Ca tombe bien, personne ne lui demande. Revenu indemne de son engagement dans la RAF mais trop vieux pour accepter la bourse qu'on lui offrait pour étudier à Oxford, il a obéi à son veuf de père, épousé Christina, un adorable petit bout de femme très décidé et renoncé toutes ses ambitions en s'enterrant notaire. Conrad, le sculpteur, il ne le connait que pour avoir passé une journée en bateau avec lui, une fois et avoir beaucoup apprécié ce moment.
Voilà, le décor est planté, l'orage peut tonner. Un orage invraisemblable, de plusieurs jours de suite après lequel plus rien ne sera plus jamais pareil. Ni le grand arbre dans lequel se réfugiait la ribambelle d'enfants ensauvagés de l'artiste, ni aucun des habitants convié à découvrir la dernière sculpture de Conrad, un Apollon destiné à un salon. Ni Conrad qui a d'ailleurs mystérieusement disparu.
Ce roman a tout de la satire malicieuse mais il est trop fin pour nous laisser juste nous moquer de la bêtise des personnages. Un quiproquo est prétexte pour explorer l'indicible sottise de certains snobs en matière d'art contemporain mais aussi, plus subtilement, pour observer, voire creuser les fissures devenues failles entre Dick et Christina. Les enfants sont croqués dans toute la cruauté de leur dénuement, de leur innocence et de leurs savoirs déjà redoutables sur la manière dont fonctionne le monde. Serafina, l'ainée, est à ce titre désarmante de courage, de candeur et d'amoralité foncière.
C'est sur Dick finalement que l'on revient le plus longuement. Cet homme triste, anéanti de voir sa vie déjà si platement écrite à Summerdown quand son esprit, vif et avide de connaissances, brûlerait encore d'absorber d'autres nourritures plus intellectuelles que sa modeste pâture quotidienne. Cet homme intègre peut-être à des conventions, loyal à son père, aux engagements pris mais pas suffisamment fort et inventif pour sublimer ces derniers et s'aménager une existence à la hauteur d'ambitions dont il porte peut-être un peu trop facilement le deuil aigri. A moins qu'il soit exemplaire d'accepter vivre avec celle qu'il considère désormais comme une sotte mais à qui il a promis fidélité ?
C'est souvent comme cela avec Margaret Kennedy, les personnages ne vous laissent pas les cataloguer dans une seule case, n'admettent pas que vous riiez simplement de leurs travers faciles à exhiber. Derrière ces derniers planent des ombres existentielles, des doutes et des renoncements qui sont, selon d'où on les regarde, des sacrifices ou des autels à leur propre gloire. Peut-être que les gourdes ne sont pas celles que l'on croit. Peut-être que les oeuvres d'art ne sont pas celles que l'on expose non plus. Et peut-être que les rêves ne sont pas si inaccessibles que cela. Seule une lecture attentive des Oracles vous permettra d'en avoir le coeur net et l'esprit réjoui.