Et quelquefois j'ai comme une grande idée

Dix centimètres de pluie -- minaudait Teddy -- et la peur contenue durant tout l'été repousse et fleurit durant la nuit. (...) Elle fleurit en couleurs bizarres et en formes diverses... (...) Mais toutes ces couleurs et ces formes éclosent d'un même germe de peur... (...) Et ce germe est enfoui en chacun de nous. Il est en moi comme en Floyd Evenwrite ou Lester Gibbons. Mais moi, je ne suis pas comme les autres. Je sais que ce n'est pas la pluie qui le fait croître et bourgeonner. Ce n'est rien d'autre que la stupidité. Et par chez nous, la terre est naturellement fertile en stupidité.

Un drôle de type, un gars bizarroïde et diabétique, un ancien prof d'anatomie aujourd'hui propriétaire d'un magasin de curiosités étonnant sur la route côtière non loin de Reedsport, où il vend ses propres spécimens anatomiques étranges sculptés à la main dans du bois de myrte de l'Oregon, substitue aux boissons alcoolisées qui lui sont interdites de petites baies bleu grisaille, bleu tombal, cueillies sur les morelles furieuses qui poussent près de son échoppe... "Rien de plus qu'une sorte de cocktail à la belladone", dit-il toujours pour apaiser l'inquiétude des buveurs de bière qui l'accompagnent. "Le poison des uns fait l'extase des autres."

De toute part, presque palpable, la nuit était suspendue en lourdes tentures ; même lorsque la lame aiguisée de la lune parvint à y tailler une brève échancrure, sa lumière maladive souligna les ténèbres plus qu'elle ne les allégea.

Depuis ce temps-là, elle a accumulé une bibliothèque abondante et éclectique. Toutes sortes de livres - reliés ou broches , certains qui perdaient leurs pages à force d'avoir été lus, d'autres jamais ouverts - couvrent le mur à diverses hauteurs d'une unique bibliothèque qui, du sol au plafond, forme une forteresse de mots.

Si le tourment suprême qui va du berceau à la tombe est le seul qu'il nous soit jamais donné de vivre... et si ce grand et désopilant combat de l'existence n'est rien d'autre qu'une pauvre rognure d'ongle, si brève et si tragique par rapport aux éternités qui l'entourent, alors pourquoi voudrait-on en abandonner ne serait-ce qu'une poignée de précieuses secondes ?

La ville? Elle peut croître, mais demeurer? Elle peut croître et proliférer, mais demeurer? Nullement. L'antique forêt et la glaise et la rivière vaincront, car ces choses-ci sont de la terre. Mais la ville est de l'homme. Je vous le dis. Elles ne peuvent demeurer, les choses nouvelles et forgées par la main de l'homme.

La réalité est plus grande que la somme de toutes ses parties, et largement plus sacrée aussi. Et la vie de la vaine substance dont se forment les songes est peut-être environnée de sommeil, mais elle ne vous fait pas de cadeau. L'heure de vérité n'arrive pas toujours à temps, c'est parfois la vérité du temps qui arrive à l'heure. Quant aux scènes du passé et aux scènes du futur, elles s'écoulent et se mêlent aux vertes profondeurs marines tandis que l'instant présent dessine des cercles concentriques à la surface.

Ca te dit rien, ce proverbe ? " L'homme se plaint de pas avoir de chaussures jusqu'au jour où il en rencontre un autre qu'a pas de pieds".

Mais un système protégé par le blindage de l'humour et du faux-semblant court toujours le risque de voir sa protection lui échapper. Une relation fondée sur la plaisanterie est une invite à d'autres plaisanteries.

En général, quand on écoute des gens parler, on est placé de façon à voir qui dit quoi. Les voix, elles sont comme reliées aux visages, du coup ça permet de les distinguer. Mais quand on ne peut pas voir les visages, alors les voix s'emmêlent, et la discussion n'en est plus vraiment une, de discussion, même pas un canon avec les voix brouillées...Ca n'est rien qu'un méli-mélo de bruits qui vous parvient, sans aucune individualité, et presque sans origine non plus. Rien qu'un brouhaha qui se nourrit de lui-même comme quand un micro capte le son qu'il produit et qu'alors ce son tourne en boucle de plus en plus vite pour finir par émettre un bruit strident et continu.