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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Terriblement efficace. de courts chapitres, très réguliers, qui nous donnent à lire le personnage principal narrateur : Damon.
Damon nous raconte sa vie, de sa naissance à l'âge adulte. Une vie de misère pour un môme, abîmé par la loterie de la vie, père absent, mère inapte, familles d'accueil intéressées voire malhonnêtes, copains délinquants. Plus les accidents de la vie. Sans parler du reste, pour ne pas dévoiler toutes les joyeusetés de cette histoire.
Pourquoi s'infliger ça, me direz-vous ?

Tout d'abord, c'est très bien raconté. Damon nous parle, il se plaint mais n'est pas geignard, il est lucide mais pas désabusé, il est attachant mais pas merveilleux. Les chapitres sont très calibrés, presque tous entre dix et quinze pages, et pourtant ce découpage ne m'a jamais paru artificiel ; si je l'ai remarqué c'est parce qu'en ce moment je me donne des temps de lecture très courts, comme le matin avant de partir au travail, un quart d'heure maximum, et que me sentant justement happée par ce livre, je voulais être sûre de pouvoir le lâcher, une fin de chapitre étant censée faciliter la manoeuvre. Mais même ainsi, je me suis fait avoir plusieurs fois à parcourir les pages suivantes en les lisant en travers car il fallait que je sache l'évolution d'une situation. Il y a un grand nombre de paragraphes que j'ai ainsi lu deux fois.

Damon s'interroge sur les moments qui font basculer une vie du mauvais côté, les mauvais choix, les incidents ou accidents qui décident pour vous. Mais il veut aussi remarquer toutes les mains tendues, tous les espoirs engendrés par des personnes lumineuses. de sorte qu'au final ce roman noir ne sombre pas pour autant dans le misérabilisme, mais reste je dirais raisonnablement optimiste.

La narration est remarquable dans ce livre. Un lecteur, Benardo, note dans son avis une évolution du ton de la narration qui évoluerai au gré de l'avancée en âge de Demon, en se dépouillant de certaines bizarreries. Je dois dire que je n'ai rien noté de tel, mais je peux être passée totalement à côté, c'est le genre de choses auxquelles je ne fais pas attention. Et je me méfie de ces impressions car je peux m'habituer à un style particulier et l'intégrer ensuite comme normal. Cela dit, c'est tout à fait possible que ce soit le cas.
Par contre, ce qui n'évolue pas, c'est la complexité du regard de Demon sur lui-même. Enfin, ce que je veux dire, c'est qu'il raconte son histoire avec maints détails, autant quand il raconte ses onze ans que quand il raconte ses dix-huit ans. Alors que moi-même, plus je remonte loin, plus j'ai de mal à rassembler quelques souvenirs. En même temps, difficile de faire un livre intéressant qui ne raconterait pas grand-chose, alors c'est peut-être l'inconvénient de la narration à la première personne.

Un livre, je le répète, que j'ai eu du mal à lâcher, qui m'a remué les tripes et que je recommande, avec quelques précautions psychologiques (âmes fragiles s'abstenir peut-être…)

Lien : https://chargedame.wordpress..
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Damon from Appalachia

Qu'est-ce qui m'a fait acheter ce livre, peu après sa sortie (traitement que je réserve à une poignée d'auteurs/autrices) sachant que je n'avais jamais entendu parler de Barbara Kingsolver, ni de son oeuvre ? Pas grand chose finalement, deux/trois passages d'une critique que j'ai survolée (je lis les critiques des autres après mes lectures) et qui m'ont tout de suite donné envie : Amérique "profonde", jeune héros avec une mère junkie, et crise des opioïdes. Dur à définir clairement ce qui m'a motivé là-dedans mais peu importe après tout !

Ce jeune héros, c'est un petit gars avec une force poussée par un désespoir dans lequel il ne tombe jamais. Sans attache mais attachant. Et si la vie ne lui a pas fait énormément de cadeaux, il s'efforce de soulager ses maux d'une façon ou d'une autre. On se dit parfois, "mais non ce n'est pas possible, comment peut-il descendre toujours plus bas?" Surtout que ça n'est jamais de son fait. Car même s'il ne se considère jamais comme une victime, c'est pourtant ce qui le définirait parfaitement. Mais ce qui le définit encore mieux c'est sa résistance, comme ici avec ce passage que j'ai beaucoup aimé:

Mais si j'avais dû partir, où est-ce que je serais allé ? Être enfermé dans une chambre, ou vivre ma vie normale, c'était du pareil au même. Les seules routes que je connaissais étaient pleines de gens qui me marcheraient dessus plutôt que de me venir en aide. Je risquais de finir comme ma mère et mon petit frère, d'un jour à l'autre. J'ai décidé d'être content que ce soit pas le cas. Ici, j'avais le ventre plein et il ne me pleuvait pas dessus. Demain on verrait bien.

Sinon, j'ai été un peu désarçonné au début par la narration, avec quasiment jamais de négation correctement employée ou des phrases qui sautent d'un côté puis virent de l'autre assez rapidement. J'ai ensuite eu cette impression qu'on était sur des effets volontaires pour retranscrire une narration venant d'un petit enfant n'ayant pas reçu l'éducation nécessaire pour toujours bien s'exprimer. Car au fil du livre, ces bizarreries narratives disparaissent quasiment, et cette narration bourrée de talent se transforme et accompagne parfaitement l'évolution du protagoniste.

Demon Copperhead (titre en VO) est un livre rempli de désespoir, sans pour autant paraître sans espoir, au contraire. On sent le tendre amour que ressent l'autrice pour sa région natale, pour la nature des Appalaches, sa verdure et ses cours d'eau. On sent aussi cet attachement pour les gens de la région, les "deplorable", les redneck, les péquenauds (hillbilly) comment on les appelle dans le reste des Etats-Unis. Les gens de cette région sont souvent victimes de préjugés et cibles de moqueries de la part de l'extérieur. On sent très bien ce côté dans le livre, mais Barbara Kingsolver s'attache à montrer qu'il n'y a pas que des gens sans dents et sans espoir (si ce n'est Trump) qui compose la population de cette région.

Il y aurait bien sûr beaucoup de choses à dire en plus sur ce livre si prenant. Ce que je garderai avant tout, plus que cette saleté de crise des opioïdes ayant fait plus de 500 000 victimes aux USA (...), c'est la tendresse avec laquelle Barbara Kingsolver a construit son Demon et a décrit tout ce qui l'entoure. Dur, mais tendre, ça marque forcément.

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Un roman de l'Amérique profonde, une brique de 600 pages de malheurs et de résilience.

C'est l'histoire du personnage du titre, Demon Copperhead, baptisé Damon et affublé de cheveux cuivrés qui lui valent son surnom, mais c'est aussi l'histoire de plusieurs autres personnes qui remplissent ses pages.
- Sa mère, alcoolique et toxicomane, son père mort avant sa naissance et ce beau-père tyrannique.
- Les Peggot, les voisins au grand coeur, avec « Maggot » fils d'une femme victime de violence conjugale, mais emprisonnée pour avoir blessé son mari.
- Les « familles d'accueil » qui hébergent l'orphelin davantage de le faire travailler que pour lui assurer une éducation.
- Ses amis qui partagent des moments de sa vie, avec chacun son histoire et sa personnalité.
- le Coach de football qui lui donnera une nouvelle vie.
- La fragile Dori, son amoureuse, etc.

C'est un roman qui raconte aussi la société :
- La vie dans des régions isolées qui cultivent la rancoeur bien plus que l'espoir.
- L'Amérique qui a tourné le dos aux « rednecks », pèquenauds, ou « ploucs », car ils n'avaient pas de place dans l'économie industrielle.
- Les pharmaceutiques qui ont introduit l'Oxycontin et les drogues qui provoquent une dépendance et transforment en épave.

Un magnifique roman avec une écriture intelligente qui distille les émotions et les enfers humains aussi bien que l'attachement à la nature.
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Tu es prof, tu es éduc spé : tu le connais, ce môme.
C'est celui, tantôt agité, tantôt éteint, avec lequel tu as du mal à créer du lien.
C'est celui qui est habillé de bric et de broc, dont les vêtements sentent toujours un peu bizarre. Parfois, les autres enfants ne veulent pas s'asseoir à côté de lui.
C'est celui dont les cheveux ne sont jamais bien coiffés, ni même bien lavés.
C'est celui qui réclame du rab à la cantine, qui vide volontiers les assiettes que les autres ont laissées, celui qui a "toujours un boyau de vide" comme on disait chez moi.
Tu sais que chez lui, ça ne se passe pas bien.
Demon Copperhead cumule tout ça.
L'immense talent de Barbara Kingsolver est d'incarner cet enfant malheureux, cette universalité de la misère sociale, dans un lieu et un temps qui résonnent avec l'actualité.
Le lieu : la Virginie des montagnes, rurale, paumée, celle des rednecks, des armes et des bullshit jobs, celle des filles enceintes à 15 ans.
Le temps : des années 80 à nos jours, en parallèle avec l'affaire de l'Oxycontin qui a fait un demi-million de morts aux États-Unis.
(Si tu ne connais pas, je te recommande de voir "Toute la beauté et le sang versé", le film qui retrace le combat de Nan Goldin contre les fabricants de cette saloperie.)
Kingsolver aborde aussi les thèmes de l'accès aux soins et de l'aide sociale à l'enfance, des domaines ravagés par l'absence de financement.
Mais parce qu'elle est une merveilleuse conteuse, elle nous offre également des moments de grâce dans la Nature, dans l'amour et dans l'amitié, elle nous fait rire parfois, elle nous attache si fort à Demon Copperhead, à la famille Peggot, à la grand-mère Melungeon (non, je ne connaissais pas moi non plus)… qu'il est impossible de reposer ce pavé avant d'avoir lu la fin.
Quelle grande, quelle immense autrice.

La traduction de Martine Aubert est inégale, souvent excellente mais par endroits elle aurait mérité une petite relecture.

Challenge USA : un livre, un État (Virginie)
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Je n avais encore jamais lu de livre de Barbara Kingsolver. Ça ne sera pas le dernier ! Dès les premières pages, je n'ai plus réussi à poser le livre que j'ai lu d'une seule traite. L'histoire de Demon est captivante et surtout bouleversante. Une lecture passionnante.
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Découvrir Barbara Kingsolver, c'est comme ouvrir une veille malle oubliée dans un grenier poussiéreux, détailler chaque objet et se souvenir.


Découvrir la vie de Demon, c'est s'apprêter à effectuer un voyage à travers l'horreur. Celle que l'on refuse de voir, souvent, celle que l'on rejette, tant qu'elle nous ne touche pas, celle que l'on refuse d'approcher. Peut-on parler de fatalité, lorsqu'on naît dans une famille dysfonctionnelle où la drogue sévit ? Peut-on parler de chance lorsqu'elle sourit ?


J'ai été touchée par l'abnégation de Demon. Malgré toutes les péripéties traversées, il subsiste en lui cette petite étincelle, cette flammèche, où l'espoir survit. Il en faut de la débrouillardise pour se sortir de la misère et de la violence, pour se donner la chance de vivre et d'oser braver ses démons.


Barbara Kingsolver est une conteuse prodigieuse. Elle sculpte les personnages avec une finesse magistrale. Chaque relief a une histoire particulière, chaque imperfection témoigne. Elle nous oblige à porter notre attention sur tous les aspects. C'est fort. C'est ingrat. C'est douloureux. Une sombre beauté. Elle raconte l'abject. Elle raconte les oublié.es. Elle raconte l'innommable et l'indicible. Une longue balade tumultueuse. Un épanchement lugubre où pourtant tout reste à bâtir.
Lien : https://desmotspourtoujours...
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Dans le sud des Appalaches, en Virginie, la vie n'est pas tendre avec Demon Copperhead, entre échec scolaire, addiction et amours désastreuses. Outre sa beauté, il peut compter sur son courage et sa combativité pour survivre et se forger un destin.

J'ai énormément aimé ce roman et particulièrement la lumière qui s'en dégage. Demon est loin d'avoir une vie facile mais c'est un battant et il a autour de lui des gens bons (et aussi des jambons lol ) . Ce roman aborde des sujets difficiles comme les violences faites aux femmes, les abus de certaines familles d'accueils qui ne prennent des enfants que pour le chèque et les laissent dans le dénuement le plus total, la crise des opioïdes qui font des ravages aux US, mais Barbara Kingsolver ne tombe pas dans le misérabilisme, il y a toujours une lueur d'espoir, un instant de douceur dans son récit. Nous ne sommes pas dans un énième roman glauque, avec une famille dysfonctionnelle sans possibilité d'évolution.

J'ai adoré le personnage de Demon même si parfois il fait des choix qui m'ont donné envie de le secouer, les personnages secondaires sont également très importants et touchant, mentions spéciales à Tommy, June et Angus.

Bref, si vous voulez lire un roman qui deviendra j'en suis sure un grand roman américain et si vous voulez rentrer un sacré bonhomme, lisez On m'appelle Demon Copperhead !
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Demon Copperhead est le David Copperfield de notre époque, un gamin né dans un environnement plus que difficile, ou l'on survit plus que l'on ne vit. Il est très vite confronté à deux fléaux : des familles d'accueil qui ne voient dans la prise en charge d'un enfant que le bénéfice qu'ils peuvent en tirer (en espèces sonnantes et trébuchantes ou en le transformant en bête de somme) et la drogue, omniprésente tant chez les adultes que les enfants.
Changer de famille d'accueil n'est que changer de galère et la drogue en est le fil rouge. le livre ne serait qu'une source de déprime si Demon n'avait une gouaille d'enfer, des réparties à toute épreuve qui en font quelqu'un de terriblement attachant et une capacité de résilience hors du commun. Si le destin semble s'acharner sur Demon, son chemin croisera aussi celui de belles personnes qui croiront en lui, l'aideront à relever la tête et avancer.
J'avais entendu parler de la crise des opioïdes aux Etats-Unis sans prendre conscience de l'ampleur des ravages qu'elle a causés et à quel point il était alors difficile aux victimes de s'en sortir.
Ce livre est une belle leçon de vie et de courage, qui se dévore même si relativement imposant.
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Un coup de coeur pour ce roman et un amour renouvelé pour son autrice Barbara Kingsolver!
Dans Demon Copperhead, l'autrice réimagine David Copperfield et le transpose de nos jours dans les Appalaches. Elle raconte d'ailleurs que c'est Dickens lui-même qui lui aurait conseillé de laisser l'enfant raconter l'histoire, car personne ne remet sa parole en doute.
Comme pour David Copperfield, l'histoire de sa vie commence par sa naissance, dans son cas dans une caravane, auprès d'une mère adolescente, sans le sou, sobre un jour sur quatre. L'autrice lui fait vivre l'enfer, les placements en famille d'accueil, les brimades, la dépendance aux opioïdes, ...
Au delà de son histoire personnelle, c'est le portrait d'une région que dresse l'autrice, qui a longtemps enduré l'exploitation et la condescendance. L'essor puis le déclin des industries du tabac et du charbon ont laissé ce territoire exsangue. Je vous conseille au passage l'excellent essai de l'autrice sur les femmes sur les piquets de grève contre l'industrie minière dans les années 80.
C'est sa région que l'autrice raconte, elle qui a grandit dans une ville rurale du Kentucky. Elle nous propose une visite guidée d'une Amérique de la misère et des inégalités sociales, avec les services sociaux inexistants face aux familles d'accueil incompétentes voire maltraitantes, mais aussi la violence ordinaire ou la crise des opioïdes.... de l'Angleterre victorienne à l'Amérique des Appalaches, plus d'un siècle s'est écoulé certes mais peu de choses semblent avoir changé, d'où la remarque de Demon après lu Dickens : "putain, il les connaissait les gamins et les orphelins qui se faisaient entuber et dont personne avait rien à branler. T'aurais cru qu'il était d'ici." Elle nous décrit la pauvreté certes, mais le lien aussi, la solidarité entre les personnes, indéniable lorsque les Peggot recueillent Damon/Demon/Diamant ... Oui, faites attention aux noms du roman, ils sont loin d'être choisis au hasard!
La parole de Demon vaut de l'or en effet, sa truculence et son esprit permettent une narration et une description pleines de nuances, sans jugement mais au contraire avec beaucoup d'humanité, souvent avec une touche d'humour. Les personnages sont nombreux certes mais tellement bien cernés qu'ils semblent pouvoir se matérialiser !
Je ne peux que vous conseillez cette lecture, Prix Pulitzer 2023, mais aussi tous les autres romans de Barbara Kingsolver!
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Pour son nouveau roman, Barbara Kingsolver a pris le parti de transposer David Copperfield, le roman d'apprentissage de Charles Dickens en Amérique d'aujourd'hui, dans les Appalaches, chez chez les Hillbillies, ces blancs pauvres décrits avec de nombreux stéréotypes comme de frustes pèquenauds.

David Copperfield fournit le casting et l'intrigue. Avec une mémoire plus fraiche de ce roman, je pense que j'aurais pris encore plus de plaisir à la lecture, à comparer avec le matériel source, à dénicher les variations et les inspirations. Mais même sans cela, la réussite du roman de Kingsolver s'impose haut la main.

« Déjà, je me suis mis au monde tout seul ». C'est la première phrase qui nous place d'emblée dans la vie de Damon Field, surnommé Demon Copperhead du fait de ses cheveux roux, dès sa naissance dans la caravane de sa très jeune mère, junkie, « hors du coup » qui s'est équipée de gin, amphétamine et de vicodine pour accoucher complètement défoncée.

Le roman repose entièrement sur la verve de la voix du narrateur, immédiatement attachante. Damon déroule rétrospectivement sa vie entre innocence intacte, ironie blasée et magnétisme espiègle. Et l'élan narratif que parvient à créer l'autrice est remarquable, galopant le lecteur à travers moultes péripéties, l'emportant dans une ruée de mots pleine de détails à la granularité vive et concrète. Cet infatigable flot d'action tient en intensité maximale sur 600 pages, un tour de force, évoluant toujours à hauteur d'enfant, puis d'adolescent et de jeune homme, en conversation permanente avec le lecteur qui a l'impression de vivre littéralement aux côtés de Damon, pendant chaque minute de sa vie.

Barbara Kingolver utilise le feu de l'esprit de Damon pour éclairer les recoins sombres des Etats-Unis. de la même façon que Dickens proposait une peinture sombre de la condition enfantine dans l'Angleterre, elle fait un examen féroce de la pauvreté contemporaine, avec en toile de fond la crise des opioïdes, et de ses effets néfastes sur l'enfance. On sent à quel point l'autrice est animée d'idéalisme et de souci de justice sociale, de colère aussi, face à un triste constat toujours d'actualité dans le pays le plus riche de la planète

« Pauvres mômes. On est censés dire, regardez-les, ils ont fait de mauvais choix qui les a conduits à une vie de misère. Mais des vies se vivent là, en cet instant précis, se glissant entre les brossez-vous-les-dents, les bonne-nuit-les-petits et les chariots de supermarché remplis à ras bord, où ces mots n'ont pas cours. Des enfants, des choix. Ils étaient déjà pourris, les matériaux avec lesquels on devait construire notre vie. Notre seul repère, c'était un garçon plus âgé qui n'avait lui-même jamais connu la stabilité et qui essayait de nous rassurer. On avait la lune à la fenêtre pour nous sourire un instant et nous dire que le monde nous appartenait. Parce que nos parents s'étaient tirés quelque part et avaient tout laissé entre nos mains. »

Les épreuves que doit affronter Damon sont terribles ( misère endémique, dépendance à l'Oxycontin de Purdue Pharma, défaillances des institutions de santé et de protection à l'enfance, entre autres, multiples deuils ). Et pourtant, alors que l'aspect mélodramatique est très chargé, parfois redondant, parfois peu subtil, il n'est jamais sinistre ou englué dans un misérabilisme pathos car Damon poursuit sa quête d'expression de soi avec une énergie résiliente et une dignité qui le font avancer vers un équilibre émotionnel à conquérir, difficilement mais à portée tout de même. J'ai trouvé la fin très belle, équilibrée et suffisamment ouverte pour laisser l'imagination du lecteur s'envoler.

Je ne suis pas passée loin du coup de coeur. La prose technicolor de Kingsolver est très vivante, éclairée parfois par des phrases à l'évidence fulgurante.Peut-être aurais-je aimé plus de pépites comme celle-ci, qui me sont allées droit au coeur avec leur poésie mélancolique :

« Jaime bien penser à l'océan, et à tout ce qui vit dedans. C'est un peu mon désinfectant à cerveau, ça me calme. »

« On s'est rallongés tous les deux et elle m'a regardé dans les yeux, et on a été tristes ensemble un petit moment. J'oublierai jamais comment c'était. Comme ne pas avoir faim. »

« Je nous imaginais nous tenant la main, peut-être avec un chien à nous. On serait devenus des adultes. C'est tellement plus sûr que d'être un enfant. »

Ce que je retiens en tout cas, c'est que, lorsqu'on naît avec si peu d'étoiles au-dessus de la tête et si peu de choix, être un héros, c'est parfois simplement survivre contre toute attente.
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