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Critique de oiseaulire


Je rendrai compte brièvement ici de deux pièces de Heinrich von Kleist : la tragédie inachevée "Robert Guiscard, duc des Normands" et "La cruche cassée".
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Kleist a remanié "Robert Guiscard, duc des Normands" durant de longues années et a fini par le laisser inachevé. Pourquoi ? Parce que cette pièce met en scène le drame de sa vie, la lutte entre les forces vitales qui invitent au dépassement de soi envers et contre toute espérance de triompher, et la raison, qui invite au désespoir, antichambre de l'échec. Il faut savoir que Kleist est tout imprégné de la philosophie de Schopenhauer et qu'il a lutté toute sa existence contre des tendances suicidaires qui ont fini par triompher de lui à l'âge de 34 ans.

Un jour qu'il n'avait aucune autre lecture sous la main, Kleist, pour s'éviter un voyage à Berlin, s'est plongé dans les écrits d'Anne Comnène, héritière de la famille impériale de Byzance, et auteure du poème épique l'Alexiade qui rapporte les exploits de son père, Alexis 1er. Il s'agit là de la principale source de l'histoire Byzantine au 12 ème siècle.

Il y fit la connaissance du duc des Normands "Robert de Hauteville dit Robert Guiscard « le Rusé », né vers l'an 1020, mort le 17 juillet 1085, duc d'Apulie et de Calabre, (qui) est l'un des plus célèbres aventuriers normands issus du duché de Normandie qui s'illustrèrent en Méditerranée". (source Wikipedia)

Dès lors ce personnage, qui représente le combat de la force vitale contre le "destin" et la raison, ne cessera plus de hanter Kleist. Il relate dans sa pièce le siège de Constantinople par le duc de Normandie et ses troupes assaillies par la peste. Récit symbolique : malade, Guiscard se redresse au milieu de son agonie pour représenter encore le pouvoir militaire et galvaniser ses soldats et le peuple. Rien n'est moins assuré que son succès, d'autant que la pièce s'achève sur un malaise physique du duc : il n'empêche que toute incomplète qu'elle soit, elle illustre bien l'importance de la volonté en milieu hostile : tenir, tenir le plus longtemps possible dans la bourrasque, c'est tout ce que l'on demande aux hommes. Guiscard triomphera-t-il de la peste et de Constantinople, ou mourra-t-il ? Il y a fort à parier qu'il mourra. Mais l'ardeur et la volonté humaine n'en sont pas moins centrales, puisque sur le reste, nous ne pouvons rien.

C'est le combat d'une vie pour Kleist : lutter, toujours, tant qu'il est possible, même si l'échec est inéluctable. Il n'y a pas de honte à être vaincu si l'on a combattu vaillamment.

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"La cruche cassée" tient davantage du vaudeville même si elle traite du grave sujet de la corruption.
Un juge véreux préside le tribunal où il doit traiter de la plainte de sujets qui dépendent de sa juridiction. Ceux-ci demandent réparation d'un outrage dont ils ignorent qu'il a été infligé par le juge lui-même et qu'ils attribuent à un autre. Ainsi les notables sont-ils à la fois juges et parties dans les débats qui opposent leurs justiciables et plus généralement dans les affaires du monde.
On découvre peu à peu l'étendue de la corruption des institutions judiciaires et les écailles finissent par tomber des yeux de tous, administrés, greffiers, et contrôleur venu du chef-lieu pour une mission d'inspection.

Tout cela est traité avec beaucoup d'esprit et l'ensemble est très alerte. Mais le lecteur ou le spectateur est convaincu de la thèse avant même qu'elle soit développée, et cela peut générer un certain ennui.

Mon insatisfaction tient peut-être au fait que l'aura de Kleist est celle d'un auteur tragique et qu'on s'attend peu à ce qu'il manifeste des talents pour l'écriture de comédies dramatiques burlesques. Il est imaginable que s'il se fût appelé Courteline au lieu de Kleist, j'eusse trouvé la pièce excellente.

J'attribue donc quatre étoiles à Guiscard et deux à la Cruche Cassée, ce qui fait trois étoiles pour les deux oeuvres.
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