— Est-ce un monde, poursuivit-elle sans se laisser désarçonner, dans lequel vous pourriez passer l'éternité ?
— L'éternité, peut-être pas... Mais l'éternité n'est souhaitable pour personne. Nulle part.
— Pourquoi construire des mondes qui ne sont pas compatibles avec l'éternité ?
J'eus tout le temps de méditer sur la nature de l'ennui. Pourquoi un mouton qui broute toute la journée ne s'ennuie-t-il pas, et pourquoi me trouvais-je au contraire aux prise avec une impatience jamais apaisée ? Ce n'était pas une question d'intelligence ni d'imagination. Ce n'était pas non plus lié à l'environnement, même si je reconnais volontiers qu'un pré avec ses odeurs, ses textures, ses lumières, ses insectes et ses fleurs, doit générer bien davantage de distraction cognitives qu'une construction de béton éclairée par des néons et diffusant en boucle les mêmes films publicitaires. La différence était encore plus triviale : un mouton n'a pas d'horaires à respecter. Dès que s'évanouit la contrainte du temps, l'ennui n'a plus lieu d'être. On peut se laisser aller dans le flux du présent, aussi monotone soit-il.
J'étais convaincu depuis longtemps que ces bons soldats des grandes entreprises menaient une existence bien enviable, sans que leur activité requière d'efforts intellectuels trop intenses:une élocution fluide et un sens aigu de la hiérarchie suffisait à leur assurer une carrière honorable.(p 25)
C'est là que je réalisai toute mon erreur : je n'étais pas au Paradis, mais en Enfer. La torture éternelle, ce n'était pas la chaux et les pinces, mais un salon d'attente avec sièges inclinables.
La cruauté même est une forme d'altruisme qui, dans ces circonstances en tous cas, me paraissait préférable à la simple juxtaposition des indifférences. (p.136)
La science économique représentait la théologie d'êtres faillibles dans un monde imparfait; elle tentait de recoller les morceaux d'un puzzle que l'humanité défaisait encore et encore. (p.89)
De quel droit nous autres intellectuels imposerions-nous notre vision de la vie au reste de l'humanité? (p.67)
Que ne donnerai-je pas pour être jugé par les autres, et comprendre enfin ce qu'on me reproche? On est toujours innocent face à soi-même. (p.62)
La torture éternelle, ce n’était pas la chaux et les pinces, mais un salon d’attente avec sièges inclinables. (p.46)
On ne s'ennuie pas quand le corps est en mouvement. (p.35)