C'est là que je réalisai toute mon erreur : je n'étais pas au Paradis, mais en Enfer. La torture éternelle, ce n'était pas la chaux et les pinces, mais un salon d'attente avec sièges inclinables.
Les vivants trouvent toujours de bonnes raisons pour se priver, comme si leurs sacrifices donnaient droit à des bons points pour l'avenir. (p.24)
La science économique représentait la théologie d'êtres faillibles dans un monde imparfait; elle tentait de recoller les morceaux d'un puzzle que l'humanité défaisait encore et encore. (p.89)
Comme on s'habitue vite aux privilèges! On les chérit d'autant plus qu'ils sont immérités. (p.33)
Ma mort avait été aussi quelconque que ma vie. [...] J'étais assez jeune pour être regretté mais assez vieux pour que cette infortune ne vire pas à la tragédie. (p.7)
Ma situation m'apparut alors de manière parfaitement claire. J'avais gaspillé les quelques décennies qu'il m'avait été accordé de vivre. J'avais éteint la vie autour de moi, dans mon ménage comme chez mes étudiants. J'avais fait régner un ordre maniaque, calculant mes dépenses, ma carrière, mes amitiés en éradiquant systématiquement toute trace de spontanéité humaine. J'avais exporté cet utilitarisme froid chez mes étudiants, dans mes travaux de recherches, et in fine dans la tête de ceux qui décident de la vie des autres. J'aimais les ruisseaux qui coulent dans les prairies et pourtant, par je ne sais quel délire, quelle ferveur intellectuelle, j'avais semé sur mon passage les centres commerciaux.
J'étais convaincu depuis longtemps que ces bons soldats des grandes entreprises menaient une existence bien enviable, sans que leur activité requière d'efforts intellectuels trop intenses:une élocution fluide et un sens aigu de la hiérarchie suffisait à leur assurer une carrière honorable.(p 25)
La cruauté même est une forme d'altruisme qui, dans ces circonstances en tous cas, me paraissait préférable à la simple juxtaposition des indifférences. (p.136)
Que ne donnerai-je pas pour être jugé par les autres, et comprendre enfin ce qu'on me reproche? On est toujours innocent face à soi-même. (p.62)
La conscience, c'est un truc de vivant pour se pourrir la vie. (p.29)