AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Erik35


KORNEL ESTI OU L'ANARCHISTE DÉLICAT

Petit chef d'oeuvre d'humour noir et lumineux tout à la fois, Dezsö Kosztolànyi donne la pleine mesure de son talent dans ces onze nouvelles où il met en scène sont quasi alter ego, un certain Kornel Esti. Personnage tendrement anarchiste, décalé, portant un regard sévère mais sans aménité sur le monde qui l'entoure et sur la société de la Budapest des années 30, ce double pas tout à fait exact - plus justement rêvé, idéalisé de lui-même - nous entraîne dans de petites scénettes en tout point parfaites tant elles sont rythmées, élégantes, crédibles jusque dans le plus incroyable, désespérées, sans doute, mais avec juste ce qu'il faut de distance, de raffinement, d'ironie pour ne pas sombrer dans un humour plus sombre, plus violemment cynique. Sans trop se tromper, on trouvera sans doute une certaine communauté d'esprit avec l'auteur tchèque un peu plus proche de nous dans le temps, Milan Kundera. On songera aussi, pour l'humour, à un Marcel Aymé et autre Alphonse Allais. Et bien que contemporain de Franz Kafka, l'originalité de Dezsö Kosztolànyi le place plutôt du côté de la poésie du monde, même parfaitement absurde et insensé, que de l'épouvante moderne dressée et exprimée par l'immense auteur de la Métamorphose.

Anarchiste, le double de cet écrivain, poète, essayiste, traducteur, chroniqueur (etc !) des années de l'entre deux guerres, reconnu à sa juste valeur aussi bien dans son pays, la Hongrie, que par un Thomas Mann qui préfacera même l'un de ses ouvrages, il l'est assurément. Mais d'un anarchisme sans programme, sans violence inutile, sans ire ni revendication. Son message, s'il y en a un, est bien plus subtil, qui offre à notre regard la perversion du monde, les ambiguïté de nos sociétés, les malheurs que nous savons si bien provoquer nous-mêmes. Une bien belle leçon et des instants de pure grâce dont on redemanderait bien encore plus d'une page !

Ci-après, un très bref résumé des onze nouvelles constituant ce recueil publié une première fois en 1994 aux éditions Viviane Hamy. Pour être parfaitement précis, cet ouvrage est une sélection parmi toutes les nouvelles dans lesquelles on peut retrouver ce fameux Kornel Esti. L'ensemble représente en réalité deux ouvrages plus longs : "Kornel Esti" et "Les Aventures de Kornel Esti".

► le traducteur cleptomane : En compagnie d'amis, Kornel Esti évoque le souvenir de poètes et d'auteurs disparus. La discussion dérive sur le destin étrange et tragique du traducteur et ancien ami Gallus dont le drame -ainsi que le sournois vice - était d'être cleptomane. Finissant par se faire attraper, il est condamné à deux ans de prison. Son ami Kornel se démène pour lui retrouver du travail et fini par lui obtenir la traduction d'un polar sans intérêt et peu payé mais toujours mieux que rien. Hélas, notre homme est à ce point sous l'empire de son vice que sa traduction en pâti à chaque lignes. Ainsi disparaissent, du texte original vers la traduction, des dizaines de bijoux, des milliers de livres-sterling, des valises, des montres-gousset, jusqu'aux fenêtres et aux cheminées des châteaux décrits... Quand ce ne sont pas les châteaux tout entiers qui s'engouffrent dans les abîmes de cet esprit fin mais dévoyé ! Impossible, dès lors, et malgré la grande finesse du reste de la version, de payer le moindre sous à ce bien étrange traducteur dont notre narrateur finira par perdre totalement la trace.

► L'argent : où, comment se débarrasser discrètement d'une somme de deux millions de Marks dont on a hérité, dont on ne veut pas, parce lorsque l'on se prétend poète, à Budapest, on ne peut raisonnablement pas être argenté. Kornel Esti est absolument définitif sur ce point : «Écoute, un poète riche, chez nous ? C'est une pure absurdité. À Budapest, quiconque aura un tant soit peu d'argent, on se le représentera toujours bête comme une courge.» Mais de comprendre aussi très vite que se débarrasser peu à peu et régulièrement d'une telle somme, sans la dépenser et en ne faisant confiance qu'au seul hasard mais sans jamais se faire repérer, ce n'est, contrairement à ce qu'il semblerait, pas du tout un mince affaire... Et l'on risque même de se faire pincer comme un vulgaire... voleur !

► le contrôleur bulgare : où Kornel Esti parvient à tenir une conversation avec un contrôleur de train de nuit, tout au long de celle-ci, et sans pourtant connaître plus de deux ou trois mots -dont le "non" et le "oui" - dans cette langue.

► La ville franche : Kornel Esti eût aimer pouvoir habiter une telle ville, où la franchise va si loin que nul mensonge ne peut y séjourner, pas même sous forme de bienséance ni de courtoisie de base ; une ville dans laquelle les commerçant annoncent la couleur sur la mauvaise qualité ou le peu d'intérêts de leurs articles ; une ville où les médecins ne se force même pas à reconnaître leur ignorance face à la maladie ; une ville d'où l'on se fait exclure si l'on remercie trop diligemment par habitude polie...

► La disparition : L'histoire d'un homme, énorme, qui pourtant disparaît mystérieusement et sans explication possible ; que l'on regrette vivement, dont on plaint la triste destinée et les mauvaises affaires... Jusqu'à sa réapparition tout aussi saugrenue, et le rejet par ses anciens amis qui s'ensuit.

► le pharmacien et lui : où comment un insomniaque tâche de guérir de son trouble en se procurant chez un pharmacien cacochyme un remède contre la toux ainsi qu'un anti-transpirant puissant...

► Misère : l'histoire d'une descente aux enfers d'un poète de plus en plus désargenté, de plus en plus miséreux mais auquel ses proches font de moins en moins attention, sont de moins en moins sensible, au fur et à mesure de sa chute.

► le manuscrit : être critique littéraire et donner son avis, aussi subtil que complet sur un livre dont on n'a pas ouvert la première page - mais dont on connait l'autrice, d'un ennui fatal - peut s'avérer devenir un exercice des plus jubilatoires et profitables...

► le président : Il n'est pas donné à tout le monde d'être un model de présidence d'une association culturelle organisant colloques, lectures et autre conférences. Celui que Kornel Esti nous présente-là est doté d'un don exceptionnel : il s'endort à l'instant même où il a achevé la présentation de son invité, parvient à ne jamais sombrer au point de s'étaler sur le bureau devant lui et se réveille invariablement quelques instants avant la fin de l'intervention du causeur. Mais les temps changent, et la jeunesse qui pense toujours tout savoir et mieux faire que ses illustres anciens fait souffler un vent de révolte contre cet homme pourtant débonnaire...

► le chapeau : C'est le récit du décès, atroce et accidentel, du chapeau melon de Kornel Esti tandis que ce dernier traversait une route. de se souvenir de son couvre-chef comme s'il évoquait une personne connue.

► La dernière lecture : où Kornel Esti raconte les péripéties presque kafkaïennes qu'il vit dans l'hôtel où il est venu faire une lecture de ses textes... Et qui pourrait bien s'avérer la dernière...
Commenter  J’apprécie          253



Ont apprécié cette critique (23)voir plus




{* *}