Rêves de montagnes

Depuis mai jusqu’à la fin juin – période où le mont McKinley est le plus fréquenté – il n’est pas rare que le grondement infernal des petits avions équipés de skis emplisse le ciel de cinq heures du matin jusque bien après minuit. Si ce vacarme trouble le repos bien mérité des habitants, aucun ne s’en est plaint car l’Alaska sans avions est aussi impensable que l’Iowa sans maïs.

« C’est parce qu’ils ont beaucoup à donner et qu’ils le donnent sans compter… que les hommes aiment les montagnes et y retournent sans cesse. » (Sir Francis Younghusband)

Nous ne sommes qu’en septembre, et pourtant le vent qui souffle dans les rues étroites de Chamonix sent déjà l’hiver. Chaque nuit, le niveau inférieur de la neige, comme la bordure d’un jupon, descend un peu plus sur les vastes hanches du mont Blanc en direction des toits d’ardoises et des clochers des églises de la vallée.

Les réveils dans la grotte, admet Dagon, étaient vraiment déprimants. Vous ouvriez l'oeil et vous trouviez en face de vous des types en train de ronfler. Il n'y avait rien à manger et tout ce qu'on avait comme perspective, c'était de passer une nouvelle journée à se regarder les uns les autres en chiens de faïence dans ce trou de glace.

Il est toujours amusant d'essayer de fabriquer un jeu de Monopoly (la seule reconstitution du tableau et des cartes peut prendre du temps), mais le jeu favori des grimpeurs américain est Peak Experience, un jeu long et compliqué, d'un réalisme presque pervers en ceci qu'il est impossible d'atteindre le "sommet".

Dès cette époque - soit vingt ans avant que cette gradation soit introduite dans le système - le niveau de Gill atteignait 5.12. (Au cours des trente dernières années, comme dans les autres activités sportives, le niveau des performances en escalades s'est considérablement élevé. Dans les années soixante, on introduisait le niveau 5.10, puis 5.11 dans les années soixante-dix, et 5.12, 5.13 puis 5.14 dans les années quatre-vingt).

Parmi les grimpeurs des trois continents, une aura légendaire entoure la figure de John Gill. Il est admiré par l'élite de la montagne. Un alpiniste conquiert habituellement la célébrité par des exploits dans l'Himalaya, en Alaska, dans les Alpes ou sur l'immense muraille de granit du Yosemite. La réputation de Gill repose uniquement sur des ascensions de moins de dix mètres. En n'escaladant rien d'autre que des blocs.

" La face nord a vaincu des centaines d'alpinistes et en a tué quarante-quatre. Parfois, c'est plusieurs années après que l'on a retrouvé des victimes desséchées et démembrées. Le corps d'un Italien est resté pendu au bout de sa corde pendant trois ans, hors d'atteinte mais bien visible, tantôt scellé à la paroi par le gel, tantôt se balançant dans le vent de l'été."

En 1974, cette passion s'accrut encore. Ma première expédition en Alaska constitua le moment clé de cette période. Ce fut une randonnée d'un mois avec six compagnons dans les pics Arrigetch - une imbrication de minces tours de granit d'une beauté sévère et ensorcelante.