Nue

Hugo n'est pas attendri par l'enfance, le petit âge, au contraire. Cette période de la vie n'évoque pour lui rien de tendre. La vie ne vaut que dans la différence, l'autonomie, la valeur ajoutée personnelle. Hugo n'aime pas cet âge dépendant où l'homme fragile se construit.

Notre histoire se prolonge après la fin du film, c'est assez rare. Les liaisons durent habituellement le temps d'un tournage, comme ces amours de vacances à génération spontanée et vie limitée. La "grande famille" du cinéma formée le temps d'un film ne suffit pas à combler la solitude et l'ennui de l'acteur. Les romances sont inévitables, motrices.

Au-dessus, en grand, placardé sur le mur, la photo de moi assise sur un fauteuil en rotin et signée Giacobetti. Cette image semble éternelle. En fait, le fauteuil n'est pas thaïlandais, ce n'est pas celui du film, en buri tressé avec une jolie couronne de motifs bruns, non, le fauteuil de l'affiche est plus banal, de facture philippine, acheté à Paris. Pourtant, il offre un parfait contraste avec mon visage européen, il invite au voyage, vers des terres où tout serait possible. C'est un trône léger, provisoire comme le désir.

Je décide de participer au casting. Aucune actrice connue ne veut du rôle en France. toutes évoquent la pornographie. Elle existe déjà, apparue un peu partout, exploitée dans un circuit de salles spécialisées, sombres, qui sentent le renfermé et le sperme frais.

Je ne sais pas s'il y a plus violent que le refus, le rejet physique de notre propre corps par l'autre. Le refus de sa peau, sa chair, sa forme, son existence. Être simplement nié, tenu à distance par une main tendue ou des lèvres closes. c'est violent.

J’étais habillée, on me préférait nue. Je parlais, on me préférait muette ou doublée. Je compris que le public, profondément marqué par Emmanuelle, voulait prolonger le rêve intime, me garder dedans, symbolique et nue, fantasmatique et nécessaire