L'été, quand je sillonne la Corse et considère le crénelage ocre de ses côtes, je me dis que la mer n'a jamais cessé de frapper la roche, ni le ciel omis d'y accrocher les deux étoiles que les hommes vénèrent. Cela, que ces pauvres créatures naissent ou meurent. Jamais la nature n'a célébré la venue ou la disparition d'un être. Elle s'en moque. Elle lui mène la vie dure. Mais, parce qu'il est têtu et perclus d'orgueil, l'homme s'est imaginé des accointances magiques avec elle.
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Aucun mot ou construction poétique élaborée par les adultes n’est à la hauteur de l’enfance et du génie de celle-ci, capable de remettre en question la plus vieille de toutes les métaphores.
Une femme sans époux en Iran, c’est une pute chez qui tout le monde peut entrer la nuit.
J’en voulais aux hommes de disposer de mon corps et de pouvoir jouir sans qu’il ne leur en coûtât jamais rien, tandis que je prenais chaque fois le risque de ne plus m’appartenir.
Le ciel d’Ispahan était une écharpe de soie cobalt, irisée de franges orange où une main invisible avait brodé des rossignols. Sur la place royale, le ciel enflammait l’eau lisse du grand bassin en pierre noire.
Les femmes d’ici, portant tchador ou hijab, disparaissaient. Le diabolique morceau de tissu contribuait à rendre tout plus ténu en elles : présence, gestes, regard, voix.
Je n’eus jamais peur des textes comme je ne trouvai jamais que mon nouvel ami fût sévère ou que le noir fût noir. Cette teinte honnie par ma mère restait pour moi une couleur absolue, contenant toutes les autres couleurs. Et le génie des auteurs que j’aimais entretenait un rapport catégorique avec le noir : il me donnait la lumière.
La mort avait commencé à entrer en elle à faire son œuvre. Le temps se rétrécissait atrocement. La vie entrait dans la mort, mais c’était encore la vie. Ce le serait jusqu’au bout. Marcher sur le fil tendu de cette frontière rendait fou.
À force de travail, mon sentiment d’imposture par rapport à la langue française s’émoussa et dans le miroir mon si noir visage devint presque aimable.
Car Robert était vraiment bon. Cela, je le savais. Mais il était dur et maladroit. Il ne parvenait pas à dire les choses. Il subissait ses émotions, se laissait submerger par elles. Il fut un papa merveilleux les premières années. Il changea quand je devins jeune fille, sans doute parce qu’il ne savait plus comment faire avec moi. Il ne comprenait plus qui était cette grande bringue de quinze ans et d’un mètre soixante-treize sur laquelle les garçons se retournaient dans la rue.