– Seigneur, ne détournez pas les regards de votre Église, ne raillez pas la douleur de votre serviteur.
– Vieillard, je suis sérieux comme un garçon de café qui présente la note... Une fois pour toutes, que mon Église aille au diable! je ne veux pas de cassement de tête. J’ai bien assez de mal avec mes sultanes; sainte Thérèse, à elle seule, dompterait dix Hercules; c’est une vraie Messaline. Va trouver mon père.
– Dieu m’a maudit!
Dieu prend son métier trop à son aise : parce qu’il a travaillé six misérables jours, il croit que pour lui tous les jours de l’année doivent être des dimanches et des lundis.
- As-tu donc des yeux pour ne point voir ? Ne vois-tu pas que tout s'écroule ? Notre pouvoir est ébranlé, chancelant, et pourtant c'est nous qui sommes les seuls debout au milieu des civilisations en ruines, parce que nous sommes les représentants de l'esprit des temps passés, de l'esprit qui ne meurt pas, du passé qui écrase l'atome humain. Ne vois-tu pas que la bourgeoisie, cette bourgeoisie qui au siècle dernier triomphait de nous par l'esprit, le ridicule et le couperet de la guillotine, hantée par les terreurs, regarde autour d'elle et brame après un protecteur, après un sauveur ? Ne vois-tu pas que les rois, les empereurs, sentant la terre trembler se tournent vers nous ? Nous sommes l'ancre du salut, le havre de la bourgeoisie ; car nous conduisons le troupeau des humains avec la peur de l'inconnu, nous savons les paroles mystiques qui brisent les énergies, domptent les volontés et forcent la bête humaine à lâcher la proie pour l'ombre.
- Marie ira trouver le jeune docteur qui t'a consolé, bon Joseph, reprit le Saint-Esprit ; il la calmera avec du jus cocufiant... Soigne bien ta femme, elle sera bientôt mère.
- Mère encore ! cria Saint-Joseph. Ah ! pour le coup ; je ne reconnais pas le bâtard. Je n'y suis pour rien, pas même pour les oreilles. J'en ai assez de paterniser les enfants de mon épouse. Marie repousse mes caresses afin de conserver sa virginité, et elle met bas plus de petits qu'une lapine.
Le Pape arriva à la porte du Paradis vers les onze heures du soir. Il y avait encore de la lumière dans la loge du concierge. Il frappa gentiment - pas de réponse. Il frappa rudement - Saint-Pierre s'empressa d'ouvrir. Son visage était courroucé, sa trogne rouge flamboyait ; il se promettait de lancer vertement l'intrus qui, si mal à propos, troublait sa conversation nocturne et quotidienne avec la dive bouteille.
- Il nous faut un miracle pour de bon, un grand miracle. Monte au ciel et parle à Dieu comme il le mérite, Dieu prend son métier trop à son aise : parce qu'il a travaillé six misérables jours, il croit que pour lui tous les jours de l'année doivent être des dimanches et des lundis. Que dirait-il, que dirions-nous, si les ouvriers le prenaient pour exemple ; Dieu fainéante trop, secoue-le de sa paresse.
- Qui fera ce miracle ? répliqua le Pape galvanisé par l'ardente ambition du serviteur qui fut son maître.
- La foi !
- Elle est morte.
- Morte ? Nous la ressusciterons. Pendant mille ans nous avons garrotté l'humanité sur les chevalets ensanglantés ; de nouveau nous lui tenaillerons les chairs avec des fers rougis pour que la foi pénètre en son cœur. La foi est fille de la peur, nous ferons trembler les hommes.
La vierge Marie, vêtue d’une robe bleue traînante et sans ceinture, s’avançait nonchalamment. Un pigeon blanc, le Saint-Esprit, perché sur ses épaules roucoulait et frôlait amoureusement ses joues et son cou. Derrière marchait saint Joseph; deux cornes gigantesques à nombreuses ramures ornaient son front. Les cornes, au début, chagrinèrent le bon Joseph; mais sur l’avis de sa fidèle compagne, il consulta un jeune docteur et se tranquillisa l’esprit; il apprit que les cornes attestaient une supériorité; il se prit à les aimer, il remarqua que les attentions de Marie augmentaient avec leur croissance; il finit par les considérer comme la chose la plus précieuse du Paradis.
mais l’inhumaine Raison enseigne que les rois sont rois, que les grands sont riches, parce que la masse humaine est bête et lâche et se laisse passivement commander et exploiter.