Charel et Daniel s’étaient donné rendez-vous au parc. De là, ils devaient ensuite filer à l’extérieur du quartier pour aller au cinéma de répertoire où un festival de films de M. Night
Shyamalan prenait l’affiche. L’adolescente n’atteignit toutefois jamais le lieu prévu.
Les Navarro ne sortaient plus. Pas même sous le porche pour recueillir le courrier. Ils redoutaient le regard des autres, de leurs voisins surtout, ceux qui, la veille encore, leur faisaient aveuglément confiance, même s’ils n’appartenaient pas tous à la même confession. Ils s’enfermèrent dans leur grande maison, tirèrent les rideaux, débranchèrent le téléphone, et se
tinrent prostrés des jours durant. Ils ne firent que prier. Et pleurer.
La Cité ne connaissait pas le mot vacances. Elle bouillonnait, rugissait, débordait, créait, pullulait, polluait. Elle criait sa joie ou son mal de vivre. Nuit, jour, semaine ou fin de semaine... Tout s’y côtoyait: le meilleur comme le pire. Elle ne s’alanguissait jamais.
Travailleurs illégaux, mendiants, toxicomanes, criminels recherchés et gens de petite vertu y squattaient sans s’inquiéter de la présence des policiers qui redoutaient le quartier défavorisé réputé pour être le plus mal famé, le plus pauvre de tout le Pays.
L’adolescente lança un autre coup d’œil à la ronde avant de refermer la porte. Elle soupesa alors l’enveloppe.
[...]
Elle courut s’installer dans la salle familiale et, bien calée dans le canapé, releva le rabat. Elle souffla à l’intérieur et les parois de l’enveloppe s’entrouvrirent.
Elle saisit entre son pouce et son index le carton gaufré qui s’y trouvait. Deux phrases étaient
inscrites à la dactylo, l’une au recto, l’autre au verso.
Je sais qui tu es
Je sais ce que tu as fait
Elle tenait cependant à avoir très peu de
contacts directs avec eux. En fait, elle avait peur d’eux.
Peur que leur pauvreté se révèle contagieuse.
Charel écarquilla les yeux de surprise. Yssa enchaîna:
-Il veut créer un monde parfait. Et il le fait sur la base de
deux seules valeurs: l’argent et la gloire personnelle. C’est devenu sa race aryenne à lui. C’est un élitiste, tu sais. Un
obsédé.
Elle déboula l’escalier et rejoignit son frère Benjamin dans la cuisine. Le garçon mangeait des toasts à la confiture tout en lisant Les Fourmis, de Bernard Werber.
L’adolescente comprit alors que le mal sommeillait partout, même du côté du soleil.
Elle ne désirait plus vivre dans un monde aussi pourri. Elle voulait essayer de le rendre meilleur. Une idée se mit alors à germer dans son esprit.
-Je crois que je vais t’embrasser, Charel Martin... [...] Sa chevelure et ses membres dansaient mollement autour de lui, animés par de légères vaguelettes.