On savait que
Marie-Hélène Lafon avait un engouement pour le conte de
Flaubert Un Coeur Simple, alors dans ce texte on s'aperçoit qu'elle le revisite en faisant de
Joseph son héros un ouvrier agricole allant de ferme en ferme, une évocation de Félicité la domestique de Madame Aubin dans le texte de
Flaubert.D'ailleurs les références sont nombreuses,il y a aussi dans le texte de
Marie-Hélène Lafon une madame Aubain qui est également une patronne et qui va, à un moment donné employer la mère de
Joseph. Cette Madame Aubain comme celle de
Flaubert a perdu un enfant, a un perroquet dans une cage, on évoque Mr Bourais. Si Félicité entretient avec la religion un lien profond,
Joseph, lui, s'adonne à la boisson et se perd dans les méandres de ses effets. Mais cela n'altère pas son travail, il reste fidèle et honnête pour ses patrons. Comme Félicité avec Rodolphe, il aurait pu se marier avec Sylvie mais ça tourne mal, elle est plutôt inconstante comme Rodolphe, d'ailleurs les deux rencontres se font à un bal (là aussi vestige d'un temps ancien), Il avait eu , comme un autre, son histoire d'amour. Il avait trouvé Sylvie au bal Condat.
Joseph est un employé agricole comme il n'en existe plus à notre époque, sans doute
Marie-Hélène Lafon fixe t-elle sur le papier la fin d'un monde rural, elle met en évidence la filiation entre le XIXème siècle et ce début de XXI ème siècle dans le monde rural du Cantal qu'elle connaît bien, comme si elle constatait que peu de choses avaient changé en un siècle, malgré les révolutions technologiques développées en parallèle. Un double hommage, d'abord à une littérature classique, aux mots qui l'ont sortie de son univers rural, puis à ses paysages qui l'ont aussi fondée et qui sont la matière de ses livres. Ses "pays" comme elle dit qui s'opposent et se nourrissent l'un de l'autre. Mais
Marie-Hélène Lafon n'est pas non plus dans l'éloge et le regret du monde ancien fondé sur le rythme des saisons et le travail de la traite ou des moissons, elle reconnait l'étroitesse du regard des gens, le conformisme rassurant et sclérosant, la violence et la souffrance de la solitude.
C'est par sa langue aussi que
Marie-Hélène Lafon nous émeut : dans ce livre, le rythme du récit nous transporte d'un point de vue à un autre sans pause, on passe d'une langue riche et construite à une langue plus orale comme si on était dans les pensées intérieures de
Joseph ou des gens de son entourage, mais jamais de mots familiers , des expressions locales, oui. Une façon personnelle de revisiter le style indirect libre de
Flaubert. Mais l'auteur a toujours la main sur ses personnages et leur langage intérieur, la structure narrative est soignée et grâce à de judicieux indices parsemés ça et là, elle met l'eau à la bouche du lecteur. Ce qui prédomine , c'est la douceur de la langue, rien qui heurte, tout semble être à sa place même dans les souffrances , les paradoxes ou les dysfonctionnements des personnages. En utilisant les mots comme elle fait de la dentelle, c'est l'art du mot juste qui sidère chez
Marie-Hélène Lafon.
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