Joseph ne s'ennuyait pas, il laissait passer de gros morceaux de temps.
Un chien comme celui-là il faudrait qu'il ne meure pas, jamais, il serait presque mieux qu'une personne.
Il pense à des choses à l'abri de sa peau, tranquille, on ne le débusquera pas.
"Joseph avait toujours eu moins de caractère que Michel, c'était souvent comme ça avec les jumeaux, chez les gens comme chez les bêtes, il y en avait un qui prenait le dessus."
Les mains de Joseph (...) des mains presque jeunes comme d'enfance et cependant sans âge. (...)
Joseph entretient ses mains, elles lui servent pour son travail, il fait le nécessaire. (p.9)
les gens et les bêtes mouraient mais pas les prés, pas les terres, pas la rivière, tout se conservait et il avait beaucoup à penser. La Santoire, par exemple, il était né au bord, il avait vécu là, pas loin, dans sa vallée ou autour, il l’avait entendue souvent la nuit et connaissait toutes ses saisons, un peu comme si elle avait coulé à l’intérieur de lui.
Dans les fermes où on se fait la guerre entre vieux et jeunes, c’est dur pour l’ouvrier qui se trouve sans savoir de quel côté se tourner quand l’un a dit blanc et l’autre noir. Joseph en a séparé des pères et des fils, ou des frères, ça s’empoignait au fond de l’étable ou à la grange, juste à côté de la trappe ouverte sur un escalier bien raide, il a reçu des coups perdus et ensuite on l’a regardé de travers parce qu’il avait vu ce qui doit rester caché dans le secret des familles. C’est la boisson qui est le pire. Tant que les parents sont là et en bonne santé pour aider, ils ont leur mot à dire et le fils continuera le fromage, le saint-nectaire, parce que la ferme est dans la zone d’appellation contrôlée, juste à la limite mais encore dans la zone ; dans une ferme organisée comme celle-là, on a besoin d’un ouvrier comme lui pour aider et on peut le payer uniquement si on transforme le lait ; mais tout le monde sait ce que le fils pense ; le fils pense qu’ils travaillent pour payer l’ouvrier, à cause des charges, et que c’est un système périmé.
Quand on réussissait à attraper son regard qui vous traversait sans vous voir, on ne soutenait pas longtemps ce vertige.
Joseph était gentil, si gentil, pas bavard, pas du genre qui fait des promesses pour ne pas les tenir, mais du solide, du paysan solide; elle répétait cette expression, du paysan solide.
(...) ces médecins, le père et le fils, étaient partis en guerre, dans le journal ils écrivaient en croisade, contre l’alcoolisme ; on voyait régulièrement dans La Montagne des articles signés par eux qui parlaient de fléau, de ravages dans les campagnes, d’éradication, de cause sacrée (...) ; on racontait aussi qu’ils roulaient pour le cousin d’Aurillac et son service spécialisé qui ne risquait pas de manquer de clients, la Sécurité sociale avait bon dos, elle payait les traitements qui n’en finissaient pas, coûtaient bonbon et n’avaient pas l’air de servir à grand-chose à en juger par le nombre de poivrots du canton abonnés aux cures ; entre novembre et mars, ils allaient se faire désherber à Aurillac, on disait désherber et tout le monde comprenait, les gars passaient l’hiver au chaud à l’hôtel trois étoiles chez Grémanville, c’était le nom du cousin, ils ressortaient de là retapés récurés en grande forme et rattaquaient le canon aussi sec.