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Critique de Lucilou


"Les Derniers Indiens"...
Peu à peu, la liste des romans de Marie-Hélène Lafon qu'il me restera à découvrir s'amenuise. C'est bien vrai que je voulais prendre mon temps, en gouter les derniers avec parcimonie mais je n'ai pas pu et Marie et Jean m'attendaient déjà depuis si longtemps dans ma bibliothèque.
Alors oui, j'ai commencé "Les Derniers Indiens", j'en ai savouré chaque page comme on savoure les premières longues soirées d'été. Et comme à chaque fois, le récit imaginé par Marie-Hélène Lafon m'a serrée le coeur.
Ce roman qui porte en creux tout ce qui fait la beauté des textes et des histoires de son auteur, court, ramassé, pelotonné sur lui-même comme un chat en hiver, est d'une beauté calme, sereine et d'une tristesse profonde et un peu grise qui vous écorche le coeur.
Pour moi, "Les Derniers indiens" est à la hauteur de "Le Soir du Chien", de "Joseph" aussi.
Bien sûr, il y a le style, l'écriture de Marie-Hélène Lafon limpide et ciselé, tellement claire, tellement!..
Et puis il y a ce monde rural en train de disparaître ou de se transformer, selon de quel côté de la cour on se place, ces paysages âpres jusqu'à l'austérité mais non sans beauté du Cantal et de ces hameaux si loin des villes.
Marie et Jean sont frère et soeur, et déjà le poids des ans courbe leurs dos. Ils occupent la ferme familiale devenue trop grande après le décès de leurs parents il y a des années déjà et d'un frère, flamboyant fauché comme les blés en plein été. Ils l'ont toujours occupé cette ferme, ne l'ont jamais quitté. Ils ne se sont jamais mariés non plus et s'ils ont couru les bals avec Pierre, c'était plus souvent pour faire "normal" ou tapisserie. Et puis, dans leur famille, vieille famille de paysans, il n'aurait pas fallu mésallier, cela n'aurait pas plu à leur mère, sèche, dure comme sa terre. C'est pour elle qu'ils sont restés ou à cause d'elle et qu'ils ont peut-être manqué leur vie, qu'ils l'ont subi. Après, après c'était trop tard, et ils ont continué à avancer, à s'effacer même. Ils sont les derniers indiens et après eux, il ne restera rien, rien de leur lignée, du fruit de leur labeur. Et la maison est si grande avec tous ses souvenirs qui s'éteignent dans les vastes armoires au bois de miel. Après eux, ce sera la mort d'un monde qui crève déjà de silences et de solitude. le nouveau monde, il est de l'autre côté, chez ces voisins dont Marie observe le linge qui sèche au vent, la tribu, les Lavigne et leur maisonnée pleines de rires et de cris dans laquelle trois générations vivent avec fracas. Elle y pense beaucoup à tout ça Marie, au temps qui passe, à la mère et au père, à Pierre, au pensionnat, à l'Alice des voisins si blonde, aux silences de Jean et ce sont ses pensées que nous offre le roman, pelote que l'on dévide, un fil lumineux et mélancolique qui suit un parcours faussement désorganisé. C'est là qu'excelle Marie-Hélène Lafon, dans cette plongée vers l'intime dont elle sait écrire les suspensions, les respirations et la délicatesse des nuances; une plongée qui épouse en un mariage heureux, fragile parce que beau, la peinture d'une ruralité âpre qui m'émeut toujours infiniment -comme m'émeuvent les vies manquées de ses personnages- parce que c'est le monde d'où viennent les miens, ce monde de paysans taiseux et fiers de leurs terres et de leur travail.
Il est magnifique "Les Derniers Indiens", de la première à la dernière page, et cette chute, ce dernier paragraphe, comme un murmure sur le silence, comme un brouillard qui se lèverai, oh juste un peu, sur les secrets, les non-dits de ceux qu'on oublie parce qu'ils gardent leur maison oubliée.
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