Comme s'il ne suffisait pas que le Carnaval repose sur l'illusion, ces maudites bautas permettent aux gens d'esquiver les conséquences de leurs actes pendant l'année entière ! Sans les masques, bien des infidélités, des vengeances crapuleuses et des actes infamants ne resteraient pas impunis.
Marietta travaillait sans relâche sa voix avec le maestro, qui voulait faire d'elle la prima donna de la Piétà, pour succéder à Adrianna.
- Ma voix ne peut se comparer à la sienne ! s'était-elle exclamée lorsqu'il l'avait avertie de sa décision.
Il avait souri avec indulgence.
- Ce n'est pas une question de comparaison. Les fleurs n'exhalent pas toutes le même parfum, mais elles s'épanouissent toutes à leur heure.
- Le temps est aussi changeant que le cœur d'une jeune fille, remarqua le marquis...
Comme tout le monde, Marietta connaissait la dure loi observée par la noblesse vénitienne en matière de mariage. Le droit d'aînesse n'existant pas, l'un des fils était choisi pour hériter du nom et des biens. En outre, il était le seul à pouvoir se marier. On s'assurait ainsi que les grandes fortunes et le pouvoir qui les accompagnait n'étaient pas dispersés et affaiblis. Il en résultait que d'innombrables jeunes hommes menaient une vie dévergondée, confirmant ainsi la réputation de Venise, synonyme de débauche et de vice. Dans ces conditions, il n'était pas étonnant que le commerce des courtisanes fût florissant. La loi réduisait aussi les chances des filles nobles de trouver un époux et contraignait des centaines d'entre elles à se retirer dans des couvents.
La lumière ravissante de Venise jouait constamment sur ses marbres, les teintant d'opale, d'ivoire, d'ambre, de perle ou de rose profond, telle une artiste recherchant toujours un effet plus réussi que le précédent.
Et qu'est-ce que cette petite sotte savait de l'amour ? Des défauts qui paraissaient charmants au plus fort de la passion se révéleraient un jour irritants, avant de devenir des motifs de haine.