En écriture, comme en tout, je souscris au catégorique et honnête aphorisme de grand-père :
Ça coûtera ce que ça coûtera.
Ça prendra le temps que ça prendra.
Ça donnera ce que ça donnera.
L’enfance d’où l’on vient et d’où, si on a de la chance, on ne revient pas.
«On n’a jamais le temps de manifester notre reconnaissance aux anges comme aux démons providentiellement apparus sur notre chemin, camarades qui nous ont tiré de pièges plausiblement mortels, avant de s’évanouir comme des spectres dès qu’on a eu le dos tourné.
Puis, comme dans un rêve qui se déchire, apparaît grand-père Léopold, appuyé au plus costaud des peupliers trembles, sa casquette de guingois, les bras croisés sur sa poitrine. Il secoue la tête comme il le faisait quand, étourdi, je refusais de voir ou d’écouter. Il dit :
-Les grands gestes heureux des arbres, les ombres flottantes dans l’eau vive, l’odeur soûlante de la sève de pin qui perle sur l’écorce comme une rosée… La commune de ton enfance, les aiguilles qui chantent la langue du coeur, celle de l’esprit…Je vois battre ton coeur à grands coups, ta chemise palpite… Jamais tu ne dois oublier qui tu es, si tu ne veux pas que le malheur fasse jaillir de toi le son creux du bâton contre l’arbre mort…
Au nord les forêts flambent, au sud on navigue en canot dans les rues des villages, un peu partout des tornades sillonnent le territoire. Et, bien sûr, nous n’y sommes pour rien.
Je lis et relis souvent, en parallèle, du texte frais et du texte bien conservé. Ce matin, Véronique Côté – La Vie habitable, 2014 – et Gabrielle Roy – La Route d’Altamont, 1966. Soeurs jumelles éloignées l’une de l’autre, toutes deux, à cinquante ans d’écart, interrogent le mystère de la beauté, celui de la création.
Ciel et terre du même blanc éblouissant. Flèches zigzagantes des corneilles traversant la brume de glace. Rares promeneurs impossibles à reconnaître, engoncés dans des scaphandres de capuches et de foulards. Je marche à la rencontre du froid comme on se rend à un rendez-vous secret, en aveugle. […] Je savais déjà, enfant, que je n’habitais pas un décor, mais une vaste dramaturgie d’arbres, de bêtes et de lumière, plus vraie que le prétendu réel. Les pins sifflaient mon apparition, me chuchotant que j’étais libre. Ils font pareil aujourd’hui. Libre de me métamorphoser, matin après matin, en explorateur déluré arpentant une terra incognita que nul avant moi n’a aperçue.
C’est que l’enfance qui convoque la merveille charroie aussi le mal-être.