Citations sur Quand notre terre touchait le ciel (53)
Dolma
1
Toronto, Canada
2012
Partout dans l'air planait le sentiment
distinct que notre coin de la ville ne faisait pas partie du monde occidental- pas celui que nous avions imaginé autrefois, ni celui que nous décririons à nos parents dans le camp. Certains désignent cet endroit sous le nom triomphant de " Little Tibet".Pour moi, c'est le camp reconstruit. Une copie d"une copie de notre patrie. Une halte temporaire de plus, dans un voyage qui n'en finit jamais.
( p.139)
Malgré tout, je n'arrive pas à me défaire de l'idée que cette conversation futile entre spécialistes du Tibet importe peu. Le monde nous a oubliés. Pour la plupart des gens, nous ne comptons pas. Comment, sinon, pourraient-ils s'échanger nos dieux à la manière de possessions, les exposer dans l'enceinte stérile de musées et de collections privées, comme si nous avions disparu depuis longtemps ?
-[...] Ce que je sais, c’est que la survie est un jeu répugnant, et nos objets sont la seule chose que le monde estime réellement chez notre peuple. Nos objets et nos idées. Mais pas nous, et pas nos vies. Que l’on reste ici encore deux cents ans ou qu’on disparaisse de la surface de la Terre, personne ne s’en soucie vraiment.
- Les gens apprécient la beauté de notre culture, dis-je. Mais pas notre souffrance. Personne ne veut la mettre dans une vitrine. Personne ne veut se l’approprier.
(...) " Qui êtes-vous ?" Nous sommes des réfugiés. Nous avons obtenu l'asile.L'État chinois s'est emparé de notre pays et a massacré notre peuple- 1,2 million de personnes. Nos preuves d'identité sont dérisoires- de simples bouts de papier plastifiés, pas de passeports en cuir gaufré comme les vôtres-, et la plupart des nations ne les acceptent pas.Nous vous prions de ne pas vous arrêter à notre déchéance actuelle. Vous auriez dû nous voir avant l'invasion, quand notre pays avait des rois, des dieux, et une histoire ininterrompue depuis des temps immémoriaux.
( p.358 )
Je repense aux sacs dans mon placard, remplis de cadeaux pour ma sœur.Des cols roulés, des mocassins, des doudounes, tellement de chaussettes.Une centaine d' heures passées à explorer les magasins, levant chaque article devant moi, essayant de prédire la réaction de ma sœur.Je rêvais de la faire venir dans ce pays.Je rêvais de rentrer.Pendant ce temps, les cadeaux se sont accumulés. De petites touches de réconfort personnel, pendant que j'attendais d'avoir les moyens de la tirer vers moi.
( p.368)
Pokhara, Népal
Camp de réfugiés tibétains (...)Automne 1962
Je regarde les personnes assises autour du feu.Nous avons tous l'air si sales et fatigués. Comme de vieux drapeaux de prière accrochés à flanc de colline, nos corps ont perdu leurs couleurs après tant de jours difficiles.Quel effet la paix aura-t-elle sur nous ? Nous remettrait-elle à neuf ?
Nous raccommoderait-elle ?
( p.91)
(...) Il me regarde et laissant son chagrin briller dans ses yeux, il reprend : "Pour l'instant, nous devons partir. Mais nous continuerons à tourner autour de cette terre, dans cette vie et la suivante. C'est notre douleur et notre espoir."
Mais comment peut on acheter quoi que ce soit de manière légitime au
Tibet ? Les gens n' ont aucun contrôle sur les politiques mises en place, et encore moins sur les objets inestimables qui leur appartiennent.
( p.191)
Quelque chose a changé, cependant. Avec la résurgence de ce souvenir, j'ai découvert un chemin. Un ruisseau menant à un océan de souvenirs. Oui, un chemin m'apparaît maintenant; et je sais qui a manié la hache pour ouvrir cette brèche. Ce ne peut être que le Saint Sans Nom: il a traversé l'océan, et nous a retrouvés.
Pokhara, Népal
Été 1962
(...) Nous nous installons tous les trois par terre.Je remarque que Gen Lobsang est en train de construire un fourneau en argile dans un coin.Ayant été moine, il sait sûrement cuisiner.Tout le monde est tenu de participer à la préparation des repas dans un monastère. Les moines doivent aussi apprendre à lire, écrire de la poésie, jouer de la musique, danser le cham, faire leur propre lessive, et prier pour la libération de tous les êtres doués de sens.Voilà pourquoi Gen Lobsang est l'homme le plus instruit ici.
( p.73 )