La Baleine blanche

Mon père, il avait écrit une chanson, Amour sur oreiller, sur les rapports de forces. Bobby Laser, de sa voix incisive et moqueuse, en avait fait un gros succès. C'était l'histoire d'un couple qui remplaçait l'extase par la bagarre vu qu'après l'extase il n'y a plus rien d'aussi émotionnant tandis qu'après la bagarre on peut toujours se réémotionner dans l'extase.

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Mes parents, ils ne se disputaient que très rarement et la plupart du temps pour des riens mais quand les riens finissent par devenir des touts, c'est peut-être plus grave que ça en a l'air puisqu'on ne prend même plus la peine d'en discuter, préférant se refermer sur soi que de s'en ouvrir en laissant entrer le vent et lui permettant de balayer un grand coup les ressentiments car dans un couple, quand le ressentiment a remplacé les sentiments, c'est que le chewing-gum qui colle les cœurs ensemble n'a déjà plus beaucoup de sucre à force d'avoir été trop mastiqué.

Papa détestait l'esprit petit-bourgeois des gens dont la vie est réglée comme du papier à musique et qui passent leur temps dissimulés derrière leurs volets à compter les fausses notes des voisins.

Si, Alex. Je suis un boulanger sans farine. Parfois je sens le levain qui monte en moi. Alors je me dis : « Tiens Léon, tu pourrais encore pétrir le corps d'une femme et enfourner ton plaisir en elle », seulement vois-tu petit, la pâte ne prend pas. J'ai beau y mettre la tête et les mains, me souvenir des émotions et des gestes, je pétris le vide. Tu comprends, Alex, je suis dans le pétrin, mais dans un pétrin absolu car non seulement je manque de farine mais en plus le four est éteint et délabré. Même les briques réfractaires sont fendues, émiettées et d'un froid glacial.

À force de lui prodiguer des conseils de prudence, des mises en garde à mon sujet, elle avait fini par lui donner une énorme angoisse existentielle et comme grand-père n'était pas en bonne santé vu qu'il approchait de la retraite éternelle et qu'il pouvait d'un instant à l'autre, rentrer à tout jamais dans le ventre de la terre pour accoucher de sa mort, il s'était mis à penser qu'il fallait peut-être consigner par écrit ses dernières volontés.

- Parce que tu trouves que c'est poétique, ça ?
- C'est comme on veut, Alex, ça peut être dégueulasse ou poétique. C'est comme on le ressent.
- Avec grand-mère c'était poétique ?
- Oui, Alex, c'était très poétique, c'était très pur. Si pur que ça manquait de sel.
Je n'avais pas osé lui demander pourquoi il mettait du sel dans le sexe de grand-mère ni pourquoi elle en manquait sans compter que ça devait drôlement brûler.

Elle était seule et vachement belle dans sa robe d'été. Elle marchait comme si de rien n'était, sans avoir l'air d'être heureuse, sans avoir l'air non plus d'être malheureuse. Elle marchait normalement quoi et je n'arrivais pas à comprendre comment on pouvait refaire surface aussi rapidement quand on a sexamouré clandestinement des heures durant et prêté son corps à un homme qui n'est pas son mari.

Au début de leur liaison, Rodolphe et Nora se voyaient dehors. Ils tendraissaient près du Sénat, au Jardin du Luxembourg, et sexamouraient en face du Panthéon, à l'Hôtel des « Grands Hommes ».

Bien que m'efforçant de ne pas le montrer, ça me tirait dur sur le cœur et aussi sur la glotte, à ceci près que l'on ne voyait point les soubresauts de mon cœur mais que l'on pouvait surprendre les tressaillements de la pomme d'Adam, là où l'émotion reste coincée lorsque l'on retient ses larmes.

Dans l'une de ses dernières lettres, Vince racontait, qu'au lieu de l'inspiration, il avait trouvé la plénitude et qu'il était à présent parfaitement heureux d'être libéré de sa recherche. en conséquence de quoi nous devions, à notre tour, apprendre à nous passer de lui, comme il avait appris, lui, à se passer de nous.