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sur 399 notes

Critiques filtrées sur 3 étoiles  
« C'est le meilleur professeur d'hypnotisme que je connaisse ». Cette phrase, le lecteur doit la prononcer de lui-même à la lecture du texte qu'il a entre les mains, du moins selon le souhait du Narrateur.
Et je dois avouer que j'ai été hypnotisée par ce texte, mal-à-l'aise souvent, à tel point qu'il m'est difficile d'exprimer mon ressenti, puisque j'ai été à la fois choquée ou écoeurée parfois, saisie en tout cas par cette oeuvre qui ne peut laisser indifférent.
Maldoror, qui parfois est le Narrateur, parfois le personnage – et qui parle parfois de lui à la troisième personne, explique le but de l'ouvrage : « attaquer l'homme et Celui qui le créa », en montrant toutes les horreurs, toutes les perversions, et tous les crimes dont sont capables l'homme et son créateur, Dieu lui-même : mutilations d'enfants, pédérastrie, « le Créateur » allant lui-même au bordel violer et torturer un adolescent, ou, devenu ivre, dévorant ses propres créatures plongées dans des excréments, une fillette violée au couteau et par un chien, des poules déchiquetant les traces de sperme sur les cuisses de prostituées... Oui, c'est parfois insoutenable.
J'ai eu l'impression que l'auteur voulait choquer délibérément la société bourgeoise conformiste, mêlant blasphème, violence insoutenable des actes présentés, crudité de certaines expressions – je me demande si ce n'est pas la première fois que les mots « vagin » et « clitoris » sont employés en poésie ; je ne dis pas qu'ils sont vulgaires, mais qu'ils sont considérés ainsi dans la société de la fin pudibonde de la fin du XIX ème siècle. Il y a une insistance sur la sexualité, mais une sexualité sadique, sans amour ni même désir. Et une insistance sur la violence, avec l'image qui revient plusieurs fois d'enfants fracassés – littéralement - sur un mur.
D'autres images qui peuvent choquer, ce sont celles liées à la nature. le texte est peuplé d'animaux sauvages, mais les animaux méprisés, ceux qui sont jugés effrayants : crapauds, tarentule, crabe, poux – l'image des montagnes de poux lâchées dans les villes est répugnante. J'ai trouvé une image plus apaisante, plus poétique pourrais-je dire, celle de la mer, de l'océan. La mer revient plusieurs fois, comme une forme d'apaisement. Je retiens aussi l'image de l'accouplement avec une femelle requin, les deux créatures violentes, cruelles et perverses, se reconnaissent.
Une lecture éprouvante comme rarement pour moi, surtout en lisant de la poésie. Je n'ai peut-être pas toutes les clefs d'interprétation, j'ai lu que Lautréamont avait été redécouvert par les sur-réalistes qui avaient été fascinés par son oeuvre. Je ne suis pas prête à me plonger dans un un bain où aura été dissous un kyste pileux de l'ovaire, trois limaces rouges et un prépuce enflammé », condition posée par le Narrateur pour recevoir sa poésie. Peut-être, pour le dire autrement, y-a-t-il « entre les deux termes extrêmes de [ma] littérature, telle que [je] l'entends », moi lectrice, et « la sienne », à Lautréamont « une infinité d'intermédiaire », et nous n'avons pas la même conception de la littérature. Comme il me l'a demandé, je « ne me fâche pas contre lui si [sa] prose n'a pas le bonheur de [me] plaire » ; je suis sans doute trop « respectable » pour cela. Enfin, je dois dire que d'un point de vue du style, je n'ai pas été éblouie par l'écriture : oui, il y a une accumulation d'images saisissantes, mais je n'ai pas eu envie de lire à voix haute pour écouter le rythme, les sonorités, ce qui est pourtant le cas lorsque je lis de la poésie en prose.
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Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu
momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se
désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les
marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison;
car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique
rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa
défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont
son âme comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que tout le
monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls
savoureront ce fruit amer sans danger. (Livre I, Les Chants de Maldoror)

Voici le liminaire de l'oeuvre et, à dix-sept ans, j'ai pris acte de l'avertissement, dès la première scène de carnage qui y a eu lieu. En effet, j'étais "une âme" bien trop "timide", pour ce genre de lectures, et ce, malgré l'admiration de mon professeur de Première pour l'oeuvre.
Bien des années plus tard, je m'y relance et je suis en effet admirative, moi aussi. Et pourtant, je ne suis pas sûre d'y avoir compris grand'chose.
Maldoror est un être démoniaque anarchiste ; je veux dire, par cette bizarre expression, qu'il trahit, massacre, viole, désole, en free lance, et qu'il n'obéit à aucune hiérarchie diabolique. Peut-être est-il le diable lui-même ? Une chose est certaine, il raille Dieu, il l'insulte, le défie, et ce dernier ne sait pas agir autrement envers lui qu'en l'avertissant et en lui envoyant des émissaires ridicules que Maldoror massacre.
Les victimes préférées de Maldoror : les êtres jeunes, naïfs, confiants, aimant, et faits pour le bonheur. Leur châtiment tient de la torture, et je ne saurais que trop déconseiller ces magnifiques pages (car c'est du beau style, original et complexe) aux personnes sensibles.
lautreamontLe style est déconcertant, extrêmement nouveau, pour ne pas dire génial et, si je ne m'abuse, il me semble avoir lu (à 18 ans, c'était il y a longtemps, désolée) dans le Manifeste du Surréalisme, que cette oeuvre était un modèle. Je comprends tout à fait la parenté revendiquée, bien après coup !
Par ailleurs, cela a beau être du poème en prose, il y a une complexité narrative incroyable, impressionnante de maturité chez un auteur mort à 24 ans ! La question qui revient sans cesse est "qui parle ? ". Comme dans une poupée-gigogne qui s'ouvrirait parfois latéralement sur une dimension inconnue, Lautréamont joue avec son lecteur. Mais pas en jouant l'hermétisme ou l'absurdité, pas de ces facilités-là ! il fait des analepses ou prolepses plus ou moins proches. Par exemple, dans le chant VI, après une tentative d'enlèvement d'adolescent anglais manquée, on a la vision surréaliste d'un cygne noir passant sur un lac et portant sur son dos le cadavre d'un tourteau en décomposition et une enclume... On suppose qu'il s'agit encore d'un avatar de Maldoror, mais sans comprendre. La clé vient quelques pages après.
Mon passage préféré est dans un des premiers chants, dans les strophes en pantoum "Je te salue, ... !" (Vieil Océan, poulpe, mathématiques !...)
Un des passages les plus irritants, mais les plus virtuoses, est dans le chant III (ou IV), je crois, quand Lautréamont ne cesse de parler par appositions, subordonnées, parenthèses et qu'il nous perd dedans. Il faut toute la volonté humaine pour ne pas perdre le fil... Et on voudrait pouvoir le perdre... ;o)
Lien : http://aufildesimages.canalb..
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Je ne lis pour ainsi dire presque jamais de poésie, et c'est sans doute un grand tort que j'ai de négliger cet art majeur. Encore faut-il en trouver qui vaille la peine. J'ignore d'ailleurs s'il existe encore de la bonne poésie publiée. Probablement, mais bien à la marge. Car qui en lirait encore de nos jours ? le contemporain habitué aux délassements de lecture, au dépaysement et aux divertissements faciles, la bouderait et la mépriserait. La poésie n'est-elle pas une insulte ? Une provocation ? Une pédanterie qui lui crache à la figure qu'il est incapable de la lire et de la comprendre ?

N'importe, je ne vaux guère mieux, parce que j'en lis peu ( je lis tout de même un poème ou deux, et de très bonne facture pour ne pas dire excellents, chaque semaine). Je me promets d'en trouver et d'en élire.

«Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre, quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger.»

Les Chants de Maldoror est un recueil de poèmes en prose. S'il existe six parties (chants), j'ai choisi un ouvrage qui ne comporte que les deux premières, ce qui est un grand tort, puisque c'est à peine assez pour se faire une idée. Je n'entends d'ailleurs pas qu'on ait ainsi divisé les chants.

Maldoror, seul protagoniste d'épisodes féroces indépendants les uns des autres, est un personnage bien étrange. Il était pourtant un adolescent comme les autres, il fut bon et vécut heureux. Cependant au fond méchant, il s'efforça de dissimuler ce trait de caractère tant qu'il put. Enfin, quand cette duplicité lui devint insupportable, il épousa la « carrière du mal ». Qui, comme Maldoror l'adolescent, ne dissimule pas une sorte de férocité, d'agressivité intérieure ? Il y a une dizaine d'années, je me faisais parfois cette réflexion : « je suis méchante ». Par contraste avec ce que j'entendais et voyais autour de moi ou plus loin. Plus jeune, j'imaginais que j'étais une étrangeté. le monde me paraissait bon et altruiste, empathique et tolérant. Gentil, en quelque sorte. Tandis que moi, je me fichais assez de la misère du monde tant qu'elle ne m'atteignait pas. Il me fallut des années pour comprendre que l'autre se donnait des apparences de bonté, pour sa conscience ou pour paraître, et surtout pour rester bien assorti au monde. Maldoror s'efforçait d'être bon et de dissimuler sa nature jusqu'à l'adolescence. Et puis il a mûri. On devient adulte quand on cesse de feindre et d'agir par conformisme. Et je songe soudain - puisque l'on est dans la poésie - à Chateaubriand : "Si tu pouvais, par un seul désir, tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ?" ». Qui ne consentirait pas ?

Maldoror est le mal. Cruel, pervers, et gratuit. Il est le mal qui invite à le suivre, à le lire, à l'apprécier. Il entraîne le lecteur en des chemins inexplorés de la poésie : ceux du sadisme et de la dépravation. Est-ce grave ? Non. Si l'homme n'est pas ostensiblement méchant, il est malfaisant, ce qui est bien pire que la cruauté pure, parce qu'il avance ainsi à couvert. L'homme se trompe, il se ment. Il veut se croire bon. Maldoror veut le redresser à coups de vérités sur ce qu'il est/serait sans imprégnation.

L'amour universel est un mythe, une légende que se racontent les médiocres. Maldoror ne se raconte rien. Il se contente de suivre son instinct, de vivre selon sa nature, d'obéir à ce que lui dictent ses pulsions, fussent-elles impitoyables.

La forme est assez ique paradoxalement. Voire très conventionnelle. Je pense notamment à « Je te salue, vieil Océan », assez similaire au « Ô, Océan » de Withman notamment. Ce qui est d'autant plus déroutant quant au contenu des poèmes. Il n'est pourtant pas question de pastiche ou de parodie. Lautréamont est un poète. Que son oeuvre soit une célébration de la cruauté, une provocation, n'empêche rien.

Ces chants sont une démesure assumée, un recueil de violence et de délires. On se croirait dans la tête d'un fou, mais pas de n'importe quel fou: c'est excellent d'écriture. le fou est poète. Et vérité. J'avais profondément aimé le personnage du fou dans le roman La fenêtre panoramique, de Richard Yates. le fou dit ce qu'il pense et énonce des vérités. N'ayant pas intégré les codes sociaux, rien ne l'en empêche. À la différence près que le fou n'a aucune volonté de scandaliser. Lautréamont, lui, choque et horrifie à dessein. Il revendique ses actions malveillantes et se place en ennemi assumé d'une société judéo-chrétienne. L'idée du fou s'impose à nouveau par une confusion narrateur/personnage. Maldoror est tantôt « il », tantôt « je », comme s'il était à la fois en dehors du narrateur et en lui, ce qui évoque évidemment une double personnalité, une sorte de schizophrénie. Cette manière de causer le trouble est très habile. On ne sait plus bien si, par extension, Maldoror n'est pas l'auteur lui-même. Impression de folie, de double personnalité, renforcée par le fait qu'après avoir fait souffrir volontairement des dizaines de victimes, Maladoror sauve une vie, et trouve cela « beau ». le bien et le mal, l'auteur et le malfaisant, la cruauté et la pitié, se superposent, se mélangent, ne font qu'un. Maldoror compatit au sort de la prostituée, puis veut enfoncer ses doigts dans les lobes de son cerveau. Il est multiple. Mais tout homme n'est-il pas multiple ? Cette folie apparente n'est-elle pas plus proche de l'esprit humain que n'importe quel univers manichéen ? Un homme n'est-il que vertueux ou que malfaisant ? Ce qui apparaît comme une incohérence psychologique reflète très bien les contradictions et conflits intérieurs de chaque être humain. Toutefois, la folie prend d'autres formes encore, notamment celle de la bouffée délirante. Maldoror enfante des poux à l'aide d'un cheveu dressé qu'il brandit comme un sexe. Une armée de poux né de son phallus-cheveu, conquérante et grandiose.

Par contraste, son chant sur les mathématiques est d'une rationalisation implacable. Maldoror fait l'éloge des mathématiques. Après le délire, voici la froideur de la pensée pure qui est louée. Les mathématiques n'ont nul besoin de sentimentalisme. de même que la morale ou la bienséance n'influent jamais sur leur vérité. C'est la science suprême, celle qui ne laisse aucune place à des affects, à des considérations émotives. Et l'on y retrouve encore la double personnalité qui fascine : après le délire à son paroxysme et les visions troublantes et ahuries, l'apologie de la logique pure.

Lautréamont a un qui fait savourer les passages sordides. le méchanceté, la cruauté, la transgression sont pour ainsi dire sublimées. le mal, admirablement conté, devient si pur qu'il éblouit.
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Il y a XXXXXannées,je n'avais pas pu le lire:trop de cruauté
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