« Je me propose, sans être ému, de déclamer à grande voix la strophe sérieuse et froide que vous allez entendre. Vous, faites attention à ce qu'elle contient, et gardez-vous de l'impression pénible qu'elle ne manquera pas de laisser, comme une flétrissure dans vos imaginations troublées. »
Étonnement ou choc, tels sont les mots qui viennent à l'esprit à la lecture des chants de Maldoror.
L'étonnement d'abord qu'un si jeune homme dont on ne sait presque rien sinon qu'il est mort à 24 ans, puisse avoir un tel souffle épique, souffle qu'il met au service de sa révolte par le biais de son héros, Maldoror –Nom paraît-il composé par le « mal » et « horreur » - contre ce qu'il appelle le Créateur et ses créatures.
« Ma poésie ne consistera qu'à attaquer, par tous les moyens, l'homme, cette bête fauve, et le Créateur, qui n'aurait pas dû engendrer une pareille vermine. »
Choc d'une poésie en prose et en plusieurs chants, c'est-à-dire que c'est sous une forme antique que Maldoror s'attaque au Créateur et à ses créatures passant par des mots où l'esthétisme se dispute à l'horreur : les meurtres sont nombreux et rappellent les détails sanglants de la guerre de Troie dans « l'Iliade», où l'horreur même devient esthétique, la morale n'a pas cours et la seule morale qui prime est celle qu'impose Maldoror, excroissance maladive et imaginative de son auteur –créateur en second- dans ses choix de tuer, d'admirer, de dénoncer,. Comme
Chateaubriand, on sent partout qu'on «lui a infligé la vie» et qu'il va le faire payer à Celui par qui tout est arrivé. Il apparaît d'ailleurs à un moment puisque Maldoror le provoque quasiment en combat singulier :
« Mais je ne me plaindrai pas. J'ai reçu la vie comme une blessure et j'ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C'est le châtiment que je lui inflige. »
Maldoror participe du surhomme nietzschéen, le lion de Zarathoustra, celui qui s'impose, se révolte, et c'est par un cri en six chants qu'il le fait. La poésie en est extrêmement fouillée, imaginative,
Lautréamont a absorbé les leçons de
Baudelaire et du
Rimbaud d'
une Saison en Enfer et l'adapte en poésie lyrique, un peu hugolienne, où l'on sent que le souffle est infini tant la phrase est longue, il crée un monde nouveau à mi-chemin entre enfer et Eden fait de créatures qui ont une psychologie toute instinctive et poétique et constamment, il s'adresse au lecteur de 1874 (date de parution de l'ouvrage) soit pour s'excuser de son style parfois, soit pour le prévenir de ce qui va se passer. En ce sens, le début des Chants, renvoie un peu au début de la Divine Comédie où l'on dit en gros : « attention où vous mettez les pieds ! » car un guide va vous mener vers un gouffre, des régions encore inexplorées, dans un monde à part, un monde enfin à l'image de l'homme car la première création fut vraisemblablement une erreur.
Ne cherchons pas, dans
les chants de Maldoror, une ligne narratrice ou même continue, chaque chant suffit sa peine et son lot de visions et de vitupérations, lisons le pour la beauté des mots choisis, le souffle absolu qui le parcourt pour nourrir notre propre révolte de notre condamnation à vivre.
«On ne me verra pas, à mon heure dernière (j'écris ceci sur mon lit de mort), entouré de prêtres. Je veux mourir, bercé par la vague de la mer tempétueuse ou debout sur la montagne… »