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Critique de gerardmuller


La beauté du monde/Michel le Bris (Les amants de l'aventure)
Cette belle biographie de 780 pages de Osa et Martin Johnson, les pionniers du film animalier et des peuplades primitives se divise en deux parties.
Osa a 16 ans lorsqu'elle épouse Martin, 26 ans, en 1910 dans leur Kansas natal. Leurs premières aventures qui se situent dans le Pacifique dans les années 1913 à 1919 sont évoquées en filigrane alors qu'ils préparent la prochaine expédition. Ils vont devenir les grandes stars de l'aventure dans les années 20.
La première partie relatant leur retour à New York après cette expédition dans les Mers du Sud chez le Big Nambas de Mallicolo et à Bornéo est assez longue mettant en scène une foule de personnages.
En effet cette partie du récit nous décrit les folles et fiévreuses années new yorkaises qui ont suivi la Première Guerre Mondiale. En 1920 et 1921, Osa et Marti de retour des Mers du sud vont redécouvrir la jungle urbaine, dans une ville qui a beaucoup changé avec ses flappers et ses bootleggers, son jazz et ses danses nouvelles, ses cabarets et ses moeurs libérés.
« Les vieux préjugés s'effondraient sous la poussée de la jeunesse, les femmes brisaient leurs chaînes, prenaient en main leur vie, la ville battait comme un coeur gigantesque… »
Osa, plus belle que jamais, glamour et sensuelle, découvre grâce à sa sensibilité la beauté de cette musique de jazz en écoutant Saint Louis Blues à la trompette :
« Osa, la gorge serrée, songeait que personne n'avait chanté, personne n'avait joué de la trompette ainsi, avec cette sonorité mate, cassée, elle était dans la moiteur, encore, de Bornéo, elle était en Afrique, cette voix-là était celle de la jungle elle-même, qui répondait au barrit des éléphants, au feulement des félins, au rugissement des lions, elle était tous les bruits de la jungle alentour, et le grondement des tambours, au coeur de la forêt, la clameur des chants de guerre et de chasse, elle était l'universelle douleur et la joie, aussi, gagnée sur la douleur, elle était la voix du monde en ses premiers instants. »
Admirons au passage le beau style de Michel le Bris qui ne se dément à aucun moment du livre, pour nous décrire les ambiances et une galerie inouïe de personnages en tout genre.
Émule et un temps compagnon de Jack London, Martin veut préparer une expédition vers le Kenya. Non pas pour chasser comme c'est alors la grande mode, mais pour filmer les animaux dans leur milieu. Avec Osa il édifie un projet un peu fou…
La seconde partie du livre nous fait vivre l'épopée africaine au Kenya de Osa et Martin. Nous sommes en 1921-1922.
Ils découvrent « la savane africaine, déployée jusqu'à l'infini, où dans les herbes maigres, entre les buissons épineux, sous les acacias, des milliers, des dizaines de milliers d'animaux vaquent en troupeaux, paissant, jouant, se mêlant, aussi paisibles que vaches en leurs prairies. »
Ils découvrent les Massaï, les Kikouyous et l'administration coloniale britannique.
« Les Massaï : personne n'avait jamais pu les asservir. L'administration britannique s'était bien gardée de s'y frotter, Bergers, nomades, terriens guerriers, ils professaient un absolu mépris pour tout ce qui n'était pas eux. »
Osa et Martin, sont des personnages attachants, qui ont l'aventure dans le sang et n'ont peur de rien. Ils ont pris tous les risques pour satisfaire leur passion.
« Ils auront tout à inventer des méthodes de tournage. Comment filmer buffles et rhinocéros sans téléobjectif ? En les faisant charger droit sur l'objectif et en les abattant au dernier moment. Trop tôt, pas d'image. Trop tard plus de cinéaste. C'est Osa, bientôt tireuse d'élite, qui tiendra le fusil aux côtés de Martin. Malgré le propos anti-chasse, ils n'auront pas d'autres choix. Jusqu'à ce que Martin mette au point un nouveau matériel. »
Certains passages nous rappellent le film « Out of Africa », avec la rencontre de Denys Finch Hatton l'amant de Karen Blixen et Bror Blixen, des personnages mythiques de cette époque, que la beauté d'Osa va troubler d'ailleurs.
Le Kenya les enthousiasme : « On n'échappe pas au Kenya ! Ou bien il vous rejette, ou bien il entre en vous. Et il ne vous lâche plus…Un espace sans limite, la vraie vie : le grand dehors. »
L'auteur met bien en relief la contradiction qui habite nombre des aventuriers de tout poil qui sont partis au Kenya et qui se passionnent pour un projet de préservation des animaux, eux qui les déciment avec ardeur. Ils veulent sauver toute la vie sauvage, celle des Massaï, des Kikouyous etc…
Osa s'adressant à Akeley : « À vous écouter, il n'y a pas plus ardents défenseurs des espèces que vous qui passez votre temps à les chasser. »
Bien sûr près d'un siècle plus tard, on est quelque peu surpris de voir à quelles méthodes recourraient alors Martin et Osa pour filmer par exemple un léopard (p.517) en action : Osa avec l'aide d'un pisteur rabat le fauve et lorsqu'il attaque Martin armé de sa seule caméra, elle l'abat d'une balle en pleine tête juste avant qu'il ne soit sur Martin. Navrant avec nos critères du XXI è siècle. La scène se répète plus loin avec un lion.
Un grand moment de cette seconde partie : les conversations entre Osa et Denys Finch Hatton qui ont rapport à la perception de la beauté alors qu'ils sont au salon du Norfolk Hôtel à déguster un whisky :
Finch Hatton :
« Ces foudroiements de la beauté, ce ne sont jamais que des instants, n'est-ce pas ? des instants que nous disons d'éternité. D'éternité ! Ça veut bien dire qu'en ces instants-là on touche…autre chose. Qu'on échappe au temps des horloges. On dit aussi « des instants de grâce » n'est-ce pas ? Devant une oeuvre d'art. À l'écoute d'une musique. Devant un paysage. Un coup de foudre comme en amour. L'éternité dans un instant… »
Un grand livre en conclusion avec trois parties très intéressantes à des titres différents, la première se situant davantage dans l'observation, l'étude de moeurs d'une époque et l'évocation du passé, du présent et du futur de Martin et d'Osa surtout qui est la personne principale du récit. La seconde se situant dans l'action au sud de Nairobi d'abord puis au nord dans les régions désertiques plus dangereuses, repaire des rhinocéros. La troisième narrant le retour et les préparatifs d'une nouvelle expédition concurrencée par des projets hollywoodiens et le succès de Chapman Andrews de retour du désert de Gobi où il a découvert d'immenses cimetières de dinosaures, la course aux mécènes pour un voyage prévu pour durer quatre ans au nord du Kenya.
Un roman au souffle épique exceptionnel malgré quelques longueurs dans la première partie.
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