Quant à Louis Antoine, il semble qu'il l'ait échappé belle. En effet, le coup d'État du 9 thermidor, qui mit fin à la Terreur et entraîna l'élargissement de la plupart des prisonniers, survint peu de temps avant le transfert prévu de Bougainville à Paris. Et on sait que les chances de survie d'un suspect ainsi transféré étaient nulles. La suite des aventures de Bougainville sous la Révolution confine au surréalisme. Le 10 décembre 1794, en effet, il reçoit des administrateurs du district de Coutances le courrier suivant : « L'Administration vient de te nommer élève [sic] de l'École normale de Paris. Tes qualités civiques et morales, tes connaissances dans les sciences utiles ont déterminé son choix 9. »
L'École normale avait été créée par le décret du 9 brumaire de l'an III, qui reprenait une proposition de Joseph Lakanal, destinée à revenir sur un aspect particulièrement abject de la Terreur : la lutte impitoyable contre le savoir, qui avait entraîné la suppression de tous les corps savants et même coûté la vie à un scientifique de renom comme Antoine de Lavoisier. La Révolution redécouvre la science. Naissent donc le Bureau des longitudes et l'Institut national des sciences et des arts, auxquels Louis Antoine de Bougainville se trouve immédiatement nommé. Après avoir échappé de peu à la guillotine et été inscrit d'office à une école, le voici de nouveau appelé à prendre le ministère de la Marine. Mais ce qu'il avait refusé à Louis XVI, il le refuse également au Directoire. Mais lorsque ce même Directoire, sous l'impulsion de Talleyrand, qui souhaite faire de la Méditerranée une mer française, décide d'organiser une expédition en Égypte, Bougainville collabore avec enthousiasme à l'opération.
Après que le Sr de Bougainville aura mis les Espagnols en possession des îles Malouines et que la flûte l'Étoile s'y sera rendue à ses ordres, il en partira avec ses deux bâtiments et fera route pour la Chine par la mer du Sud. Il sera libre de traverser le détroit de Magellan, ou de doubler le cap Horn, selon que la saison et les vents lui feront préférer l'une ou l'autre route.
La latitude laissée à Bougainville du choix de sa route est louable. Mais il y a avait là une occasion d'étudier officiellement si, pour passer de l'Atlantique au Pacifique, la route du Horn était réellement plus dangereuse que celle du détroit de Magellan.