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Critique de Kirzy


Plonger le lecteur dans le monde de l'industrie du tabac en mettant en fiction les stratégies de manipulation organisées par une armée de lobbyistes tout en décortiquant un système totalement métastasée par la corruption et des liens mafieux ... Une gageure car cet univers repose entièrement sur la maitrise de l'opacité , met en branle des enjeux très complexes dépassant l'univers industriel pour embrasser le politique, bref du « pas très romanesque » pour un auteur de thriller.

Marin Ledun a bien fait de se montrer téméraire et ambitieux. Il nous offre un roman-fleuve très convaincant qui démarre en 1986. Pas un hasard, les permissives années 1980 marquent une bascule avec la montée en puissance de préoccupations sanitaires ( la loi Evin se prépare dans les esprits ) obligeant les cigarettiers à renouveler leur discours pour continuer à vendre grâce un marketing cyniquement adaptable. La scène inaugurale, pied au plancher, est celle d'un braquage au Havre de deux camions citernes remplis d'ammoniac ( intrant indispensable à la fabrication des cigarettes, favorisant l'absorption de la nicotine et augmentant ainsi les risques de dépendance ). Bilan : sept cadavres, une jeune femme disparue ( la petite amie d'un des chauffeurs abattus ).

L'intrigue, tentaculaire, se déploie sur une vingtaine d'années, de la France à la Serbie sur la route du tabac clandestin. J'ai été totalement embarquée dans cette fiction qui colle de très près à la réalité grâce à un travail documentaire sous-jacent incroyablement précis. La lecture, très dense et exigeante, demande un effort de concentration pour suivre le fil de l'enquête policière sur une vingtaine d'années. Rien
n'est mâché. Marin Ledun ne donne jamais toutes les clefs d'explication. Il maitrise avec brio des ellipses temporelles qui enjambent le récit ( ici les années 1990 ) tout en pointant des événements historiques fondateurs comme marqueurs contextuels, sans pour autant que n'apparaissent un lien intuitif avec l'enquête. En fait deux enquêtes qui se rejoignent dans le dernier tiers.

Forcément, pour incarner un tel récit il fallait le bon casting. Chaque personnage incarne un stéréotype mais la longueur du récit leur permet de s'en échapper. Tous solidement charpentés sans que pour autant l'auteur ne donne accès à leur parcours psychologique. Tous sont des êtres agissants ; c'est dans leurs actions et leurs paroles que le lecteur se forgent son opinion sur eux.

Face à l'impunité des cigarettiers et de leurs sbires, les deux flics incarnent notre bonne conscience et notamment l'officier de la brigade financière Nora : l'incorruptible méticuleux qui épluche obsessionnellement tous les comptes pour remonter les pistes. de l'autre côté, il y a entre autres le salaud, le criminel en col blanc, cocaïnomane et violent : le lobbyiste Bartels. Les plus intéressants sont à mon sens Valentina et Muller. Valentina, la maquerelle qui utilise son agence d'umbrella girls pour corrompre milieux sportifs et politiques ; celle qui a décidé de croire au mythe de la femme forte pour se faire une place de lionne mais qui est tout aussi victime que ses filles. Et surtout Muller, le tueur mercenaire au service de Bartels, celui qui au tout début du roman prend une décision qui semble anodine et qui va accélérer le dénouement.

Un thriller politique palpitant qui m'a fait penser à La Griffe du chien de Don Winslow ( sur le trafic de cocaïne et les cartels ). D'autant plus intéressant que la déconstruction du récit imaginaire, vieux de plus d'un siècle par les cigarettiers, se fait sans manichéisme tout en faisant réfléchir puissamment sur les mécanismes d'influence de l'industrie du tabac. Très sombre au final et glaçant.
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