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Critique de 4bis


« J'eus un rêve : le mur des siècles m'apparut. »
Ca claque, hein ? Un alexandrin comme il sait si bien les faire, notre Totor, Hugo donc, le premier de « la vision d'où est sortie ce livre » à l'origine de la légende des siècles. de ce rêve initial jailliront 25 000 vers peignant l'histoire et l'évolution de l'humanité.

Si vous préférez, on peut aussi retourner en Egypte antique où les rêves sont considérés comme des indications laissées par le dieu afin d'orienter les hommes quand ils ne sont pas la visite d'un démon ou d'un esprit maléfique.

Ou aller dans le Rêve cher à Philippe Descola, en Australie par exemple, le Rêve, cette période engendrant la vie consciente et laissant des traces sur terre afin qu'elle continue d'advenir sur les terres aborigènes et dans les esprits totémistes.

Savez-vous que pour les Bantous du Kasaï (cuvette congolaise), certains rêves sont rapportés par les âmes qui se séparent du corps pendant le sommeil et vont bavarder avec l'âme des morts. Que pour les Indiens d'Amérique du nord, les rêves sont à l'origine des liturgies ; ils fondent le choix des chamans, c'est d'eux que l'on tient le prénom des enfants à naître, les tabous, les guerres et les parties de chasses, ils sont « le sceau de la légalité et de l'autorité » (Werner Muller) ?

Ah ! le rêve, sa force prophétique, ouverture sur les voies obscures de l'inconscient, symbole de l'aventure individuelle à la fois intime et inconscient, canal de communication entre les hommes et les dieux, dernier territoire peut-être encore inconnu lorsque chaque centimètre carré de notre terre semble avoir été cartographié et abimé, il y aurait tant à écrire sur lui ! Freud pas plus que les récits bibliques ne s'y sont trompés. Sa proximité avec le songe, la rêverie, son caractère éveillé ou semi-conscient, « nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves » (La Tempête, Shakespeare) et La vie est un songe (Calderon)
....

Aller en Corée ? Mais pourquoi donc me demandez-vous cela ? Quelle drôle d'idée ?!
Parce que vous pensiez lire la critique de le grand magasin des rêves, un roman coréen ?

Croyez-moi, en fait, vous ne voulez pas que je vous parle de ce livre. Vraiment, laissez-moi plutôt vous bercer encore de rêve romantique, d'autres encore étranges et pénétrants tout autant que familiers, vous parler des surréalistes, d'hallucinations et de prémonitions.

Non ?

Soit. Vous l'aurez voulu.

Dans une Corée à peine esquissée, Penny, jeune fille guère plus identifiée, est angoissée à la perspective de son prochain entretien d'embauche au grand magasin des rêves. Oh lala, comme tout ceci est perturbant pour une jolie petite étourdie comme elle ! Elle souhaite en effet rejoindre le célèbre Dollagoot et ses chefs de rayon dans le magasin si côté chez les jeunes, afin, elle aussi, de vendre des rêves. « Salaires élevés, luxueux bâtiment d'époque considéré comme un des emblèmes de la ville, primes variées pour encourager le travail et tout un florilège de mesures sociales pour le bien-être des employés, par exemple leur offrir des rêves coûteux lors d'un grand événement annuel. Il y a d'innombrables avantages pour le personnel. »

La préparation de son entretien, l'intégration de Penny dans la grand magasin et son initiation aux différents aspects de son fonctionnement va laisser se déployer une longue description de cet univers où le rêve est un produit comme un autre et les dormeurs des consommateurs captifs. Mme Weather, à l'accueil explique tout : « d'ici, il est possible de surveiller les stocks sans se rendre dans les étages. Il y a aussi le chiffre d'affaires qui s'affiche en direct et le suivi des paiements différés. »

Les rêves sont segmentés en fonction de leur cible et de la saisonnalité, promus à grand renfort de publicité. Ils ont leur émission télévisée célébrant les plus vendus d'entre eux. Sous les applaudissements du public. Certains de leurs créateurs sont des stars et ont à ce titre fait fortune. le plus connu d'entre eux est d'ailleurs Nicolas, ou Père Noël, qui concentre toute son activité sur quelques semaines. Les chiens, les chats ne sont pas oubliés, à eux aussi on vend du rêve. Rêve de nourriture quand vous voulez perdre du poids, rêve de retrouvailles quand vous avez perdu un être cher. Rêve d'amour quand on est seul, de succès quand on échoue. La source est intarissable et les dormeurs toujours avides de sensations doucereuses et réconfortantes. Mais parfois, attention spoil, les cauchemars aussi ont leur utilité (c'était le quart de seconde philosophique du bouquin). La concurrence des fées déloyales est féroce. Les nuits blanches sont les ennemies de ce commerce et il ne faut rien moins qu'une AG pour en causer.

Voilà, avec Lee Mi-ye, le capitalisme a pénétré le monde onirique. Et on est priés de trouver ça mignon. « Un roman pétillant comme un diabolo menthe pour les adultes qui ont gardé le goût de l'enfance » qu'ils disent sur la 4e de couv. J'aurais dû me méfier, j'aime pas le diabolo.

On en est là. Dans un monde où la nostalgie de l'enfance se fonde sur un culte de la rentabilité qui plonge jusqu'au fond de nos psychés. Où l'amusement réside à imaginer un vague récit initiatique sans l'ombre d'une symbolique, sans l'ouverture à la moindre profondeur. Où tout est besoin créé pour être satisfait moyennant rétribution. Où les seules figures mythologiques restantes, en Corée donc, sont celles du Père Noël façon Coca cola et des fées à la manière de Clochette par Disney !

Non seulement ce roman est abominablement mauvais mais en plus il me donne l'impression d'être un vieux schnock complètement dépassé, déplorant de voir partir le monde à vau l'eau.

« Au fond de la matière pousse une végétation obscure ; dans la nuit de la matière fleurissent des fleurs noires. Elles ont déjà leur velours et la formule de leur parfum. », L'eau et les rêves, Bachelard, évidemment. « La nuit de la matière », comme c'est beau !
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