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Critique de vibrelivre


Au départ d'Atocha
Ben Lerner
L'Olivier, 206p, 2011
premier roman
traduit de l'anglais (E.-U.) par Jakuta Alikavazovic, 2014


le roman commence bien. On croit suivre une intrigue. Au Prado, un homme sanglote devant La Descente de Croix de Rogier van der Weyden. C'est le narrateur qui voit cette scène déconcertante. le narrateur est un jeune Américain, Adam Gordon, surnommé El Poeta, parce qu'il écrit de la poésie, le plus mort de tous les genres littéraires selon lui. Il est en résidence à Madrid sous prétexte d'étudier les poètes espagnols de la Guerre Civile, qu'il ne lit pas, à part Lorca un peu. Chaque matin il se rend au Prado. Adam est dépressif, facilement angoissé. On se demandera au fil du roman si l'homme qui pleure n'est pas lui-même, parce qu'il penserait ne pas pouvoir atteindre l'art, ou l'amour, ou s'assumer ? le grand artiste est-il celui qui remue jusqu'au tréfonds celui qui voit son oeuvre ? Mais l'intrigue tourne court. Il n'est plus question de cet homme bouleversé.
Et le récit devient ennuyeux. Adam va en boîte. Il boit beaucoup d'alcool. Il drague les filles et leur ment à propos de sa famille, sans trop savoir pourquoi, et se sent coupable vis-à-vis de ses parents. Il voyage avec elles, Isabel à Grenade, où il ne voit pas l'Alhambra, parce qu'elle lui a parlé de ses relations avec Oscar, mais ce personnage existe-t-il?- et Teresa, à Barcelone où il se perd. Il déprime. Il prend des petites pilules blanches.
de même il ment à son ami américain Cyrus avec qui finalement il chate. Cyrus lui fait part d'une excursion tragique, où il a une part de responsabilité. La communication ne se fait pas bien , ce qui cause un décalage entre les questions et les réponses. Et c'est exactement ce qui se produit avec le narrateur. Il est toujours décalé. Parce qu'il est dans la posture pour se donner une contenance. Parce qu'il est convaincu de ne pas maîtriser l'espagnol, et du coup il ne comprend jamais tout à fait de quoi il retourne, le lecteur non plus.
Mais un attentat frappe la gare d'Atocha. Il retrouve Teresa, participe aux manifestations sans réelle motivation.
Parce que sa seule motivation, c'est la poésie. le frère de Teresa tient une galerie d'art, dans laquelle il est invité à lire certains de ses poèmes. Succès. Snobs qui parlent de poésie. Pour Adam, le vrai mérite de la poésie est de rendre le monde supportable. Cependant, il distingue sa voix dans ces fragments de traduction approximative et de télescopage de sonorités .
Les pilules blanches lui permettent d'écrire constamment. Les poèmes  ne parlent de rien, dit Gordon. Les poèmes peuvent-ils faire advenir quelque chose ? La preuve que non en est donnée par l'attentat d'Atocha. Alors qu'il est seul et se drogue, il comprend l'incommensurabilité du langage et de l'expérience, qu'il y a des choses qui ne peuvent être dites, d'autres qui ne peuvent être vécues. Il réfléchit à la lecture -il lit beaucoup Tolstoï- au fait que chaque phrase trouve son actualisation dans le présent du lecteur. Il rêve contradictoirement d'écrire des poèmes qui agiront sur le monde, et lui donneront l'amour d'une fille. le grand artiste du Prado ne bouleverse-t-il pas entièrement le spectateur ? Il écrit, donne ses textes, ils sont traduits, ils sont écoutés avec intérêt.
Il est convié à une table ronde sur ce qu'est la littérature aujourd'hui. Il prépare vaguement son intervention en pompant des phrases toutes faites. Nouveau succès. Teresa, poète et traductrice, participe à la conférence.
le récit est accompagné de six photos. Qu'ajoutent-elles au texte ? Est-ce pour rappeler Sebald ou Breton ? Il est aussi accompagné de deux poèmes de John Ashbery que Gordon tient pour un poète majeur, et pour qui le poème ne peut exister ; demeurant caché et hors d'atteinte, écrit au verso du miroir, il n'est que le reflet du poème qu'on lit, un poème fantôme. N'est-ce pas le portrait de Gordon ?

Que dit au fait le texte ? Un jeune poète se cherche. Il est peu sûr de lui, tout l'effraie, et cette peur se focalise sur la non-maîtrise totale de l'espagnol, et lui fait s'inventer une vie. Ce à quoi il tient vraiment est la poésie, la sienne aussi, alors qu'il connaît l'échec du langage à dire les potentialités qu'il contient. La table ronde va donner le départ, et quel départ, puisqu'il se fait dans l'imposture, de sa carrière, et contrairement à ce qu'il avait dit, il (si le narrateur est un double de l'auteur) écrira un roman.
le roman de Lerner a suscité l'enthousiasme de Franzen et d'Auster qui le trouvent, pour le premier, intelligent, hilarant (sans doute pour la description du public de l'art, les critiques reçues à entendre les remarques vaseuses du narrateur sur l'engagement en poésie, les débuts d'un poète) vif (c'est vrai) et original (vrai encore) et pour le second, inoubliable de par le personnage singulier (toujours à se mettre dans de mauvais draps). Je ne suis pas ces deux auteurs, le livre m'a laissée perplexe ; le processus d'écriture poétique, par la rêverie, les approximations à partir de mots traduits, l'écriture sous l'emprise de la drogue, me font me poser des questions, même si je fais la part des mensonges et des postures affichés d'un aspirant à la poésie, et de quelqu'un qui se révèle poète, et se surprend à parler espagnol sans problèmes.
Je me demande alors si je sais lire. En tout cas j'ai compris, mais je le savais déjà, que la poésie est amour.
Et je vais lire du même Lerner La haine de la poésie.
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